Questions pour un dialogue espéré

Avi Mograbi inter-roge la société israélienne et place celle-ci face à ses paradoxes dans Pour un seul de mes deux yeux, un documentaire étonnant, déto-nant, utile

Avi Mograbi est au documentaire ce que son aîné Amos Gitai est à la fiction : un cinéaste citoyen, questionnant à travers ses films une société israélienne qu’il espère voir évoluer de plus en plus clairement vers un dialogue avec les Palestiniens. Cet intellectuel combatif et infatigable a signé plusieurs £uvres marquantes comme Août (avant l’explosion), en 2002, et Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon, cinq ans auparavant. Mograbi poursuit aujourd’hui, avec Pour un seul de mes deux yeux, sa démarche d’empêcheur de penser en rond, ajoutant à son discours critique l’énoncé de quelques paradoxes dérangeants.

Se penchant sur l’entretien du mythe de Samson et sur l’histoire de la citadelle de Massada, tenus par certains pour fondateurs de l’identité israélienne, il place ses compatriotes devant une indéniable contradiction entre la célébration d’un héros biblique qui s’est suicidé pour entraîner avec lui dans la mort le plus d’ennemis possible, et le refus de trouver quelque explication aux actions palestiniennes. Il rapproche aussi la mémoire de Massada, forteresse dont les occupants juifs préférèrent, en 73 apr. J.-C., le suicide collectif à la reddition aux assiégeants romains, et la réalité d’un présent où Israël se retrouve en position d’assiégeant, enfermant des populations palestiniennes dans un désespoir croissant.  » Certes, tout ne peut pas être comparé, explique le cinéaste, ni encore moins considéré comme semblable, mais il se trouve néanmoins que des paradoxes existent, que trop de mes compatriotes ne peuvent ou ne veulent voir. On ne cesse d’évoquer la culture de la mort véhiculée par l’islam, mais peut-être faudrait-il aussi nous pencher, nous les Israéliens, sur notre propre culture de la mort…  »

Contradictions

Pour un seul de mes deux yeux nous emmène de Massada, où des guides racontent aux visiteurs la mémoire sanglante de ce lieu singulier, aux abords du fameux  » mur  » isolant désormais, au nom de la protection d’Israël contre le terrorisme, des Palestiniens déjà contraints à patienter de manière humiliante aux nombreux points de contrôle établis par l’armée. Le film use du contraste de juxtapositions habiles et révélatrices pour étayer sa vision éminemment critique à l’égard des autorités et de leur politique. Mais l’aspect pamphlétaire du travail de Mograbi, s’il a déjà le mérite de forcer le débat, s’accompagne aussi d’un appel vibrant au dialogue sans lequel la violence ne saurait prendre fin. Le réalisateur se filme lui-même en train de parler au téléphone avec un ami palestinien dont le visage apparaît sur un écran d’ordinateur. Cette écoute de l’autre est un point essentiel du discours d’Avi Mograbi, dont les opinions tranchées suscitent la controverse mais dont le film a été cofinancé… par des institutions publiques.  » Cela fait partie des contradictions d’Israël, une vraie démocratie où aucun de mes films n’a jamais été censuré, et où la plupart d’entre eux ont été financés par des chaînes de télévision israéliennes, l’Etat ne se mêlant pas des choix artistiques, même ceux que l’on pose avec son argent…  »

Le fils du réalisateur, tout comme plusieurs autres jeunes de plus en plus nombreux à refuser de porter les armes dans la situation actuelle, a fait de la prison pour objection de conscience, poursuivant à sa manière la lutte que son père mène avec ses images.  » J’aimerais pouvoir vous dire qu’une part importante de la jeunesse manifeste une prise de conscience prometteuse d’un meilleur avenir, mais ce n’est pas vraiment le cas, constate Avi Mograbi. La majorité des jeunes m’apparaissent comme très conservateurs et, si de plus en plus de jeunes se débrouillent pour éviter le service militaire (un garçon sur trois y parvient), très peu d’entre eux le font pour des motifs politiques…  »

L.D.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire