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Qu’est-ce qui vous tient à coeur ?

Dans la mesure où la moyenne d’âge augmente, nous serons de plus en plus nombreux à souffrir de problèmes de santé chroniques. Notre système de santé y est insuffisamment préparé.

L’espérance de vie du Belge ne cesse de croître.  » Cet état de fait place notre système de santé devant d’énormes défis « , affirme l’ancien patron de l’Inami, le Dr Ri De Ridder. Dans son livre Goed Ziek, paru récemment et bientôt disponible en français, il plaide pour un système de soins de santé totalement différent. La santé et le bien-être y seraient traités de pair et la prévention y recevrait enfin la place qu’elle mérite.  » Aujourd’hui, nous ne tenons pas assez compte des facteurs sociaux et sociétaux, estime-t-il. La solitude est l’une des plus grandes causes de maladie de notre temps. Un patient chronique sur deux qui se retrouvent à l’hôpital est seul. Une dame âgée qui ne voit pour ainsi dire plus personne n’a pas besoin d’une pilule supplémentaire pour ses maux psychosomatiques. Elle veut être écoutée.  »

Notre système actuel mène à une surconsommation acharnée d’interventions médicales couteuses, superflues .  » Ri De Ridder, ancien patron de l’Inami

17 soignants

 » Si, en théorie, le patient occupe une place centrale, dans la pratique, nous voyons un système de soins morcelé qui propose des solutions médicales à toutes sortes de problèmes, souvent sous forme de médicaments. Une personne âgée présentant plusieurs problématiques chroniques complexes rencontre aujourd’hui en moyenne 17 soignants différents. C’est énorme ! Imaginons que vous souffriez de diabète et d’une démence débutante ; il devient compliqué de garder son autonomie dans un logement inadapté. Vous aurez affaire à une infirmière à domicile, au généraliste, au spécialiste, au kiné, au podologue, etc. Mais aussi au service d’aide familiale, à la mutuelle et aux services d’aide sociale qui travaillent en fonction de leur agenda et de leur logique propre, sans concertation ou échange d’informations entre eux, ou presque. Essayez donc, en tant que patient, de garder la maîtrise de tout cela !  »

Qu'est-ce qui vous tient à coeur ?

Cette absence d’approche globale, de soins intégrés, ce n’est pas seulement néfaste pour le patient, prévient Ri De Ridder :  » Cela met en péril la survie financière de notre système de santé. Surtout si nous continuons à utiliser les soignants et les moyens financiers de manière aussi morcelée. 50 % du budget total des soins de santé va aujourd’hui au groupe relativement restreint des patients chroniques. Du fait du vieillissement de population, ce groupe ne cessera de grossir jusqu’en 2040 au moins.  »

Modèle de prestation inadapté

Des organisations comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) signalent que la médecine à l’acte, telle qu’elle est pratiquée en Belgique, ne convient pas pour la prise en charge des patients chroniques.  » Ce modèle ne pousse pas à une approche multidisciplinaire et à un suivi coordonné. Le système rétribue les soignants par prestation fournie alors que la concertation avec d’autres soignants, à propos de la médication ou de transferts de tâches, n’est pas rémunérée. Les signaux indicateurs d’éventuels soucis de santé sont ainsi souvent repérés trop tard et nous ratons des occasions d’aborder les problèmes à un stade précoce.  »

Le Dr De Ridder estime aussi que notre système actuel mène à une surconsommation acharnée d’interventions médicales couteuses, superflues :  » On le remarque aussi chez les personnes âgées présentant une problématique chronique. On appelle le 112, s’ensuit une hospitalisation couteuse… alors qu’il n’y a pas toujours de raison médicale claire à l’hospitalisation : des patients déclarent parfois ‘en avoir assez’. Ils sont coincés dans un labyrinthe d’avis contradictoires ou se sentent insuffisamment écoutés. Appeler le 112 n’est rien d’autre qu’un cri de détresse.  »

Plus près des gens

C’est pourquoi il plaide pour un changement systémique, en organisant les soins de santé en partant de la base, autrement dit des community oriented care, selon les termes de l’OMS. Ri De Ridder plaide pour des soins de première ligne plus larges, où une équipe de soignants collaborerait intensivement et prendrait en charge collectivement la santé d’un groupe délimité de patients.  » Cette approche multidisciplinaire permet d’agir sur tout un éventail de facteurs qui nous maintiennent en bonne santé ou au contraire risquent de nous rendre malade: la situation médicale, la mobilité, le réseau social, le logement, etc. La composition des équipes pourrait varier, en fonction des besoins spécifiques d’un quartier : dans un quartier abritant de nombreuses personnes âgées, l’équipe comporterait plus d’infirmiers à domicile et de gériatres ; au contraire, dans des quartiers qui comptent beaucoup plus de jeunes foyers ou de personnes en situation socio-économique précaire, l’équipe serait composée de davantage de sages-femmes, de pédiatres ou d’assistants sociaux « , explique-t-il.

Une équipe qui vous connait

L’équipe responsable de votre quartier pourrait alors connaître votre situation personnelle et chaque soignant vous aborder à partir de son expertise.  » Le généraliste surveillerait surtout votre état physique, l’infirmière à domicile pourrait repérer des modifications dans votre fonctionnement quotidien, et le kinésithérapeute travaillerait à votre mobilité de manière à ce que vous puissiez continuer à vivre chez vous le plus longtemps possible. Le pharmacien, qui connait les médicaments que vous prenez, se concerterait avec le généraliste et éventuellement le diététicien à propos d’éventuels effets secondaires. Un travailleur social envisagerait les activités sociales possibles dans votre quartier. Un psychologue vous soutiendrait à propos des questions existentielles que peuvent soulever des maladies chroniques. Avec certains soignants, vous construiriez une relation de longue durée, avec d’autres, vous entreriez moins en contact.  »

Ri De Ridder plaide pour des soins de première ligne plus larges, où une équipe de soignants collaborerait intensivement et prendrait en charge collectivement la santé d'un groupe délimité de patients.
Ri De Ridder plaide pour des soins de première ligne plus larges, où une équipe de soignants collaborerait intensivement et prendrait en charge collectivement la santé d’un groupe délimité de patients.© GETTY

Un facteur de succès important est évidemment la communication et la collaboration.  » Mon modèle porte plus d’attention à ce que les gens estiment important eux-mêmes. Les informations y sont systématiquement partagées et chaque membre de l’équipe saurait clairement qui propose quels soins. De cette manière, il n’y a pas de ‘blanc’ dans le trajet de soins et chacun peut se faire une image globale de la personne. Grâce à cette image intégrée, les soignants peuvent repérer plus rapidement les signaux préoccupants et répondre à temps à de potentiels nouveaux besoins. Et s’il est quand même nécessaire de recourir à des soins plus spécialisés, l’équipe peut orienter vers un des spécialistes avec qui elle collabore.  »

Qu’est-ce qui vous tient à coeur ?

 » L’approche morcelée, telle qu’elle est pratiquée actuellement, oblige beaucoup de personnes âgées ou d’aidants proches à piloter eux-mêmes leurs soins, constate Ri De Ridder. Cela génère du stress, parfois même du désespoir. Dans le modèle intégré, c’est l’équipe de soins personnalisée qui s’occupe de la coordination. La relation avec l’équipe devient ainsi plus importante que la relation individuelle avec les soignants. Parfois, lors de besoins de soins compliqués, un des soignants peut prendre en main le trajet de soins. Il ou elle prend alors à coeur les intérêts du patient et répond de manière précise à ses besoins et souhaits. Cela apporte de la sérénité et met le patient réellement au centre. Aujourd’hui, les personnes âgées entendent souvent : Qu’est-ce qui va ne pas ? Mon modèle veut donner davantage de place à la question plus essentielle : Qu’est-ce qui vous tient à coeur ?  »

Plus d’infos sur les soins intégrés :

https://www.integreo.be/sites/default/files/public/content/plan_fr.pdf

Qu'est-ce qui vous tient à coeur ?

L’avis de l’expert

Lieven Annemans est professeur en Économie de la Santé au sein de la faculté de médecine de l’Université de Gand. Il évalue pour Bodytalk le  » modèle De Ridder « .

 » Ce que Ri De Ridder propose n’est pas nouveau, commence Lieven Annemans. Mais il est bon qu’il préconise à nouveau ce modèle. Pour les patients atteints de (plusieurs) maladies chroniques, nous devons d’urgence mieux collaborer. Ce besoin est souligné depuis plus de dix ans dans des textes de politique de santé. Nous savons depuis longtemps que devons mieux l’organiser via des soins intégrés.  » Et cela passera tant par l’adhésion de la population que par un nouveau modèle de rémunération des prestataires de soins.

Rémunérer la collaboration

 » Pour stimuler davantage de collaboration, nous avons développé à l’UGent un nouveau modèle de rémunération mixte pour le personnel de santé. Ce modèle comporte une rémunération fixe visant à soutenir le réseau de quartier et la collaboration entre professionnels de la santé. Il comprend en outre une part de rémunération par épisode de soins (par ex. par mois) pour le suivi de personnes présentant (plusieurs) maladies chroniques. Pour les problèmes aigus, on peut conserver la rémunération par prestation.  »

Penser autrement

Lieven Annemans estime urgent de penser autrement la santé :  » Notre système de santé, et par extension toute la société, doit s’efforcer de prévenir les problèmes physiques, mentaux et sociaux, plutôt que d’attendre qu’ils se produisent avant d’intervenir.  »

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