Quelle forme, mes aïeux !

A Maaseik, le Museactron met en scène une expo égrillarde, impudique, croustillante et poivrée. Pour ouvrir de grands yeux sur la sexualité de l’humanité, à l’ouvre depuis 100 000 ans

(1) 100 000 jaar seks. Over liefde, vruchtbaarheid en wellust (100 000 ans de sexe. Autour de l’amour, de la fertilité et de la volupté), jusqu’au 26 septembre, au Museactron, Lekkerstraat 5, à 3680 Maaseik (nord de la province de Limbourg). Les textes de l’exposition sont traduits en français. Infos au 089 56 68 90 ou www.100000jaarsex.be.

(2)  » Durant les vendanges, Veneria a sucé Maximus, ses trous sont restés vides, seule sa bouche fut remplie.  »

Lui, c’est l’exception. La bouche pincée, le regard souffreteux, il a clairement un truc qui le chipote sous la ceinture. Repêché de la vase à Saint-Germain-sur-Seine (Bourgogne), à l’endroit où les Gallo-Romains révéraient la déesse guérisseuse Sequana, l’homme sculpté tient mollement, de la main droite, ses misérables pudendae. Sa mine contrite trahit le sentiment de celui qui, entre le Ier et le ve siècle, l’a balancé dans la rivière, dans l’espoir d’être soulagé : côté génital, ce n’était vraiment pas le pied.

Ailleurs, en revanche, dans chacune des vitrines, à toutes les étapes de cette voluptueuse histoire de la sexualité que conte le musée de Maaseik (1), c’est l’ivresse de l’accouplement qui s’expose. Des érections, il y en a ici partout, et pour tous les goûts, du paléolithique à 1900 : les amphores grecques, les lampes à huile romaines, les pièces de monnaie, la vaisselle et les manuscrits médiévaux, les tabatières, les montres de poche, les pommeaux de canne pour ladies anglaises célèbrent tous une virilité joyeuse. Autant de verges au garde-à-vous, raides comme des portemanteaux, parfois grotesques ou discrètes, qui inscrivent la domination masculine dans la terre cuite, l’ivoire, le verre ou le bois, depuis la nuit des temps…

Ou presque. Car, au commencement, il y a la femme, et elle seule. Les parois des cavernes de nos lointains ancêtres se parent de symboles féminins, grains de café ou triangles sur pointe. Des mains taillent dans la pierre des Vénus aux seins plus flasques que des gants de toilette, posés sur des bourrelets de chair pansus comme des pneus de semi-remorque.  » C’est simple : les premiers hommes créent des artefacts qui ne représentent que la mère nourricière, explique Colette Roex-Kevers, guide au musée. Car ils n’ont pas compris que le coït mène à la procréation.  » Un jour, leur propre rôle leur sautera aux yeux : quand les nomades, devenus sédentaires, commencent à élever du bétail, les hommes réalisent qu’il résulte souvent, de la monte des femelles par des mâles, des petits. Les phallus apparaissent alors, vers 12 500 ans avant notre ère. Et c’est tout de suite la folle débandade. Il serait faux de croire, en effet, que notre (relative) aisance à l’égard des affaires du sexe découle d’une lente évolution des m£urs, qui va du très strict au plus paillard.  » Ce ne fut jamais une ligne continue du sévère au permissif. Plutôt une succession de vagues, qui tantôt brident, tantôt lâchent nos pulsions et leurs expressions.  » Il en va ainsi de la masturbation :  » Toute naturelle en 1400, elle hérisse l’opinion publique en 1800, avant d’être, désormais, recommandée par le corps médical pour notre épanouissement personnel.  »

Mais revenons aux Vikings, dont les guerriers paraissent portés sur la chose. Au mur du musée, la reproduction d’une boucle de ceinture en bronze montre deux couples en pleine gymnastique. L’air du Nord doit être particulièrement tonique, car les deux dames, sous la fougue de leurs partenaires, en perdent leurs chaussons… Le plus étrange est toutefois dans la pose. Les deux messieurs ne jettent pas le moindre regard à leurs belles (qui sont franchement moches) : ils s’observent l’un l’autre.  » Ils font une course : c’est au premier qui jouira « , suppose Colette Roex-Kevers. Plus avant, une tombe reconstituée (datant de 4400 av. J.-C.), parmi les 294 mises au jour à Varna, livre aux curieux de nombreux objets quotidiens bulgares. Pas de parapluie, certes, mais un étui pénien en or, qui en dit long sur le rang social de son possesseur, et beaucoup moins sur son anatomie : l’objet mesure 3 centimètres de diamètre : quid en cas d’érection ?

A faire rougir Rocco Silffredi

Amusant. Mais quel est le propos de l’exposition ? Sûrement pas de théoriser sur la sexualité à travers les âges. Le musée limbourgeois tenterait plutôt d’éveiller une réflexion : si l’acte d’amour est éternel et universel, et souvent moins tabou jadis que de nos jours û pour nos aïeux qui partagent une seule pièce, les gémissements venant de la couche des parents bercent tôt les nuits des enfants û, ses représentations évoluent parfois de façon très surprenante. La plupart des visiteurs devraient donc éprouver quelque gêne à considérer que le sexe, en Grèce, se pratique très librement en public, en groupe, entre amis ou entre un éphèbe et un homme mûr. Qu’à Rome on porte volontiers autour du cou des amulettes sans équivoque, qui indiquent qu’on a justement un bobo  » là « . Que les puissants paradent avec, aux hanches, des dagues provocantes au manche couillu. Que les godemichés n’impressionnent personne sur les marchés des capitales européennes du xviiie siècle…  » Il ne faut pas regarder ces objets avec nos yeux d’aujourd’hui, insiste la guide. Le cours de l’érotisme a changé.  » Ainsi, ces jolis strings romains en cuir ajourés, mis au jour à Londres en 1953, atteindraient facilement, de nos jours, des sommets dans l’art de la séduction. A l’époque, ils n’avaient pourtant d’autre fonction que d’être commodes pour la pratique du sport. Contrairement à la jupette de l’âge du bronze découverte à Egtved (Danemark) dont les lanières tissées révélaient sûrement le haut des cuisses musclées de sa propriétaire, et même franchement beaucoup plus.

 » Veneria Maximo mentla exmuccavt per vindemiam tota et relinquet utrumque ventre inane et os plenu « , affirme, très obscène (2), l’auteur d’un graffiti découvert à Pompéi, à côté d’un assortiment de préservatifs en boyaux de mouton ou de cochon. Certes, la licence ne plaît pas à tout le monde. Au Moyen Age, les censeurs tentent de freiner les ardeurs de leurs contemporains. Une très vive condamnation des jeux sexuels apparaît vers l’an 1000, sous la plume de l’évêque de Worms (Palatinat). Mais en quels termes ! Son Livre des pénitences décrit l’onanisme, la pédophilie, la zoophilie avec un luxe de détails à faire rougir Rocco Siffredi.  » Si vous manquiez d’idées, tout s’y trouve ! constate la guide, qui laisse au religieux le bénéfice du doute, quant à l’origine de ses sources : ces infos si documentées, il a pu les recevoir en confession, auprès d’ouailles repentantes…  » Allons donc ! Le prélat ne serait pas le premier homme d’Eglise à succomber à la chair. Toute proche, une vitrine enferme une collection de godes provenant de la fabrique parisienne de Mme Gourdan, célèbre tenancière de bordel du xviiie siècle : ses livres de comptes font état de nombreuses commandes passées… par des nonnes. Certains de ces » consolateurs  » ou  » bijoux de religieuse  » plus anciens, en buis très lisse (un bois qui ne se fend pas û gare aux échardes !), sont même dotés d’un piston. Servaient-ils de poires à lavement ou d’accessoires simulant l’orgasme ? Un autre objet, en verre, celui-là (trouvé dans une fosse d’aisances du couvent de Herford, en Rhénanie), a peut-être fait office de gobelet pour abbesse libidineuse. Peu importe, on ne va pas jouer aux mères-la-vertu. D’autant que le musée, pour mettre en scène ce sujet délicat, a su éviter les alcôves de velours rouge. Sobre et de bon goût, l’exposition ne verse jamais dans le scabreux. Seul un appareil qui projette des stéréodaguerréotypes de nus de la fin du xixe siècle (assez osés) oblige le spectateur à se courber bizarrement vers l’avant, en une position un rien suggestive. Mais qui, dans ce contexte, s’en offusquera ?

Valérie Colin

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