Quand Hollande avait un  » M. Voix « 

Il est l’homme grâce auquel le socialiste a pu terminer sa campagne, en 2012, sans être totalement aphone. Marco Beacco, coach vocal, peut se vanter d’avoir contribué à l’élection du président français. Infusions comprises.

« ORANG-OUTAN !  » Le cri vient de la loge de François Hollande. Ce soir du 4 avril 2012, le candidat socialiste à l’élection présidentielle française est à Rennes pour un meeting commun avec Ségolène Royal ; le climat est tendu pour ces retrouvailles avec son ex-compagne, les équipes sont sur les nerfs. A quelques minutes de l’entrée en scène de l’orateur, en coulisses, le cri se répète :  » ORANG-OUTAN !  » Une fois. Deux fois. Alertés, les gardes du corps font irruption dans la pièce. D’un geste, Hollande les rassure : tout va bien. Le candidat apprend simplement à… ouvrir son diaphragme. En face de lui, un grand gaillard au crâne rasé, lunettes sur le nez, barbe de trois jours, le fait répéter. Marco Beacco est coach vocal. Il est là pour aider l’orateur à ne pas perdre sa voix pendant le dernier mois de la campagne.

Ce soir, c’est la première fois que les deux hommes travaillent ensemble. Le coach demande un endroit tranquille pour les vocalises, l’équipe refuse : trop compliqué.  » Va dans sa loge !  » Le temps presse.  » Marco  » pousse la porte, affronte le regard vaguement surpris des collaborateurs, qui découvrent son existence, hausse le ton pour interrompre des conversations qui n’ont pas cessé :  » S’il vous plaît ! J’ai besoin de silence. François, je vous demande de vous concentrer.  » Plus tard, comme il le fera désormais à chaque fois, Marco Beacco suit le discours en coulisses, à portée de vue de François Hollande. Il le chuchote presque en même temps que lui, marque les respirations, les pauses.  » Doucement ! Baisse la voix !  » lui intime-t-il d’un geste de la main lorsque le candidat s’emporte trop longtemps.  » Bois ! Bois !  » lui rappelle- t-il aussi régulièrement, tête en arrière et pouce fléchi vers la bouche. D’ailleurs, il a fait creuser dans le pupitre un trou où placer un verre d’eau. Hydrater les cordes vocales, voilà le secret.  » Il me faisait boire des tisanes, des trucs sucrés « , se souvient le président.

C’est Manuel Valls, un ami de Marco Beacco, qui, le premier, parle de lui à Hollande, en mars 2012, alors qu’une mauvaise angine handicape le candidat :  » François, tu deviens aphone, il faut vraiment faire attention… Je connais quelqu’un qui peut t’aider.  » Plusieurs rendez-vous sont pris. Chaque fois, ils sont reportés ; ce n’est jamais le moment, l’orateur n’a pas le temps. Quelqu’un pour préserver sa voix, est-ce vraiment important ? Jusqu’au meeting du Cirque d’hiver, le 18 mars : autour d’un verre, Valls présente enfin à François Hollande le professionnel, qui est juste venu accompagner un ami.  » Je ne vous félicite pas du tout. Vous faites n’importe quoi « , répond le coach au candidat qui lui demande poliment si tout va bien.  » Vous ne buvez pas, vous criez, vous respirez mal… Vous n’allez pas tenir comme ça jusqu’à la fin !  »  » Venez me voir, on en parlera « , propose l’autre, amusé. Il ne sait pas encore que le cri  » Orang-Outan  » va lui servir de mantra pour chauffer sa voix.

A 55 ans, Marco Beacco découvre le monde politique. Il a déjà collaboré avec de nombreux artistes, de Laurent Voulzy à Zazie en passant par Maxime Le Forestier, Florent Pagny, Zucchero, Maurane ou Lara Fabian, et fait travailler les élèves de la Star Academy ; il donne des cours de chant, enseigne comment prendre la parole en public aux salariés de Google, Aéroports de Paris, France Télévisions ou Veolia, organise des  » team building  » pour  » stimuler et ressouder les équipes  » :  » Le temps d’une journée, vos collaborateurs deviennent les nouvelles stars !  » promet son site, Marcobeacco.net. Mais la politique, c’est la première fois. Il en garde une photo, visible sur son site, un cliché pris en coulisses lors du meeting de Vincennes, le 15 avril 2012 : le ciel est gris, tout le monde est couvert ; l’homme pose un manteau sur les épaules de François Hollande pour éviter que le candidat n’attrape froid. Parfois, les potions miracles comme Origanum majorana – l’origan des jardins, dit aussi  » marjolaine « … – ne suffisent pas.

Deux années plus tard, Marco Beacco dit en riant qu’il a contribué, un peu, à la victoire de  » Francisco « , comme il appelle le président de la République. Et ça lui fait plaisir, ça le fait même  » jubiler « , lui qui n’a pas fait d’études, qui a fui le domicile maternel à 14 ans et qui a commencé à gagner sa vie en mendiant dans le métro. A 17 ans, la musique est son métier. Depuis, il a enregistré des disques, composé des musiques de spectacle, est parti aux Etats-Unis, a terminé une très longue thérapie. Il est convaincu qu’on peut donner à quelqu’un confiance en lui simplement en travaillant sa voix.  » Ce soir, je suis chez ce cher Serge « , vous fait-il répéter pour vous montrer que tout est affaire de respiration.

Marco Beacco n’a revu François Hollande qu’une seule fois depuis la campagne présidentielle : le 8 janvier 2014. En sortant de l’enregistrement de l’émission de Michel Drucker, où il a accompagné la comédienne Michèle Bernier, le coach aperçoit l’Elysée, tout près.  » Francisco, je suis à côté, tu es où ? Comment tu vas ?  » écrit-il par SMS au président de la République.  » Je suis à Creil, je ne vais pas tarder à rentrer. Passe me voir !  » répond Hollande, qui vient de présenter ses voeux aux armées sur cette base aérienne de la région parisienne. Un peu plus tard, Marco Beacco traverse la rue du Faubourg-Saint-Honoré et s’avance vers les gardes du Palais :  » Le président m’attend.  »  » Circulez, s’il vous plaît, veuillez changer de trottoir.  » Le piéton insiste :  » François Hollande m’a demandé de venir !  »  » Monsieur, vous n’êtes pas sur la liste des rendez-vous, veuillez circuler.  » Les gardes s’énervent, durcissent le ton. Marco Beacco lance :  » Ecoutez, je vais tranquillement sortir mon téléphone de ma poche et vous montrer les SMS du président. Vous verrez que je n’invente rien…  » Finalement, le responsable du service de presse, qui l’a côtoyé pendant la campagne, vient le chercher et le conduit à François Hollande.  » Je l’ai serré dans mes bras, j’étais vraiment heureux de le voir. On a parlé de tout et de rien, il avait l’air bien « , se souvient Marco Beacco. Deux jours plus tard, le 10 janvier 2014, le magasine Closer révèle la relation entre le chef de l’Etat et l’actrice Julie Gayet. Marco Beacco en est resté sans voix.

Par Elise Karlin

Marco Beacco n’a revu François Hollande qu’une seule fois depuis la campagne présidentielle, en janvier 2014

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