Producteurs en quête d’auteurs

Marianne Payot Journaliste

Le cinéma exploite de plus en plus le filon de la littérature. Pour le plus grand profit des éditeurs et des romanciers. Gros plan sur ce marché souvent gagnant-gagnant, qui connaît aussi quelques ratés.

Mardi 30 mars, fin d’après-midi, Salon du livre de Paris, porte de Versailles. Roland Neidhart, directeur de la Société civile des éditeurs de langue française (Scelf), est tout sourire. La 2e édition de son Marché des droits audiovisuels est un succès : éditeurs et producteurs achèvent leurs speed datings en le félicitant pour la bonne tenue de ce nouveau rendez-vous et pour la qualité duà buffet. Prises de contact, mise en avant de certains titres, le contrat de la Scelf, créée il y a cinquante ans par une poignée d’éditeurs (Claude Gallimard, Robert Laffont, Robert Esménard, Jérôme Lindonà) pour souder et aider l’édition face au monde de l’audiovisuel (cinéma et télévision), est rempli.

Certes, de tout temps, le cinéma s’est nourri de littérature. Dès 1932 sort sur les écrans Poil de carotte, de Jules Renard, adapté par Julien Duvivier ; en cette même année 1932, Jean Giono et Grasset cèdent les droits de Jean le Bleu (le futur La Femme du boulanger) à Marcel Pagnol. Mais, aujourd’hui, le phénomène a pris de l’ampleur – près de 4 films sur 10 sont des adaptations – et s’est propagé à l’ensemble de la production littéraire : best-sellers mais aussi romans d’inconnus. Du coup, l’amateurisme s’efface peu à peu devant la professionnalisation, la vente des droits d’un livre au cinéma – de 50 000 à 100 000 euros en moyenne, jusqu’à 1 million d’euros pour un best-seller comme L’Empire des loups, de Jean-Christophe Grangé – représentant une sacrée manne (d’autant que le film donnera une seconde jeunesse au livre) pour l’écrivain – de plus en plus demandeur – età pour l’éditeur.

Car, exception française, c’est l’éditeur qui négocie avec le producteur – à l’étranger, l’auteur, éventuellement épaulé par son agent, agit seul.  » Ce n’est pas une obligation, précise Prune Berge, la grande prêtresse en la matière de la maison Gallimard et pionnière dans le domaine. Les auteurs peuvent reprendre leurs droits au coup par coup.  » Ainsi, Pascal Quignard (Tous les matins du monde), Françoise Chandernagor (L’Allée du roi), Olivier Adam (A l’abri de rien), Emmanuel Carrère (La Classe de neige), pour ne citer qu’eux, volent de leurs propres ailes.  » En règle générale, poursuit Prune Berge, nous nous partageons les droits à 50-50, mais, lorsque la notoriété de l’auteur est grande, la maison prenant peu de risques, la balance penche en faveur de l’auteur, qui va toucher jusqu’à 75 ou 80 %.  » Un pourcentage que Michel Tournier, affûté sur le sujet, s’est empressé de réclamer au lendemain de son Goncourt 1970, Le Roi des aulnes, qui sera adapté par Schlöndorff.  » Si l’auteur amène le producteur, nous appliquons la règle des 80-20 « , confirme Cécile Grenouillet, directrice des droits audiovisuels de Flammarion.

Au palmarès des fictions les plus recherchées, on trouve les comédies et les thrillers, bien sûr.  » Les producteurs nous réclament de belles histoires dotées d’un enjeu actuel, avec de l’action et pas trop d’introspection « , note Cécile Grenouillet. Une exigence que la directrice des droits dérivés de Grasset, Heidi Warneke, résume ainsi :  » Il faut un récit cohérent, et un personnage principal mû par un fort point de vue sur le monde.  » Comme en témoigne Jean Becker, qui privilégie la littérature française (L’Eté meurtrier, Les Enfants du marais, Effroyables Jardins, Dialogue avec mon jardinierà) aux scénarios originaux :  » Il est très agréable de travailler à partir de bons romans, nourris d’une histoire simple, la plus originale possible. Et j’essaie d’éviter les best-sellers, pour lesquels l’attente est plus compliquée à gérer. A partir de là, comme vous pouvez le voir, mes centres d’intérêt sont très éclectiques, excepté la violence et l’excès de sexualité.  » Quant à la BD, un cas à part, elle se fait de plus en plus pourvoyeuse de films d’animation mais aussi de films classiques (voir l’encadré page précédente).

L’aventure démarre en général par une prise d’option de douze à dix-huit mois, renouvelable une fois, représentant 10 % du minimum final garanti. Mais il arrive aussi – voire très souvent – qu’elle s’arrête là, les producteurs ne parvenant pas à finaliser leur projet et leur budget. Et puis il y a les livres  » maudits « , que des générations de réalisateurs ont tenté d’adapter, notamment Voyage au bout de la nuit, de Céline, sur lequel Abel Gance, Michel Audiard, Fellini, François Dupeyron, entre autres, se sont cassé les dents. Les Aventures de Blake et Mortimer (La Marque jaune), d’Edgar P. Jacobs, Et mon tout est un homme, de Boileau-Narcejac (acheté 13 fois !), L’Interrogatoire, de Vladimir Volkoff, ou encore Le Tunnel, d’André Lacaze, n’ont également jamais vu le jour. Mais la ténacité peut payer. Après avoir remanié neuf fois le scénario, Pedro Almodovar vient d’annoncer qu’il va enfin réaliser l’adaptation de Mygale, de Thierry Jonquet.

Si, chez Gallimard, une exception en la matière, les ventes du fonds (Romain Gary, Marcel Ayméà) représentent la moitié des cessions annuelles, la majorité des éditeurs planchent sur leurs nouveautés. Le travail aidant, des auteurs discrets ont le bonheur de voir leurs ouvrages attirer l’attention du cinéma : Marie-Sabine Roger, pour La Tête en friche (Rouergue), en salles en juin sous la férule de Jean Becker, David Defendi pour L’Arme à gauche (Flammarion), Arnaud Cathrine pour Frère animal (Verticales), Blandine Le Callet pour Une pièce montée (Stock), Muriel Barbery pour L’Elégance du hérisson (Gallimard), l’option ayant été signée à peine trois mois après la parution du roman, futur méga-sellerà Mais si les écrivains sont toujours ravis de vendre leurs droits, ils peuvent être effrayés par son adaptation – un exercice de  » déconstruction  » pas toujours apprécié, d’où les inscriptions au générique pouvant varier du  » inspiré par  » au  » librement inspiré par « . Déboussolée par le résultat, Dominique Barbéris (Les Kangourous) a demandé que toute référence soit effacée du générique, tout comme Noëlle Revaz (son Rapport aux bêtes est devenu C£ur animal) ou encore Muriel Barbery, exigeant un changement de titre (Le Hérisson), la palme du courroux revenant à Marie (alias Raphaële) Billetdoux, furieuse de l’adaptation par Zulawski, en 1988, de Mes nuits sont plus belles que vos jours, comme elle le rappelle dans son dernier ouvrage, C’est encore moi qui vous écris (Stock), parlant de  » la dé-solation profonde devant le spectacle de ce film, dont chaque image, chaque phrase du dialogue vient grimer, parodier et dénaturer comme à plaisir l’esprit de [son] travail « .

D’autres ont pu avoir le sentiment de s’être fait voler : hier, Pierre Boulle, qui n’a pas touché un centime sur la diffusion à la télévision américaine du Pont de la rivière Kwaï ; Gérard Lauzier, qui a cédé il y a une trentaine d’années les droits de La Course du rat (Je vais craquer !!! au cinéma) pour 3 000 malheureux francs français ; ou, plus récemment, François Bégaudeau (Entre les murs) et Henri Cueco (Dialogue avec mon jardinier), qui n’on t pas touché plus que le minimum garanti, malgré le succès des adaptations de leur livre. A l’inverse, certains contrats se révèlent de véritables cornes d’abondance : près de soixante ans après la vente d’Une histoire vraie, adapté par Verneuil sous le titre La Vache et le prisonnier, Jacques Antoine et Gallimard continuent de toucher des droits. Avec Z, mis en scène par Costa-Gavras, Vassilis Vassilikos, son auteur, aurait empoché quelque 450 000 euros. L’image au secours de l’écrità qui s’en plaindra ?

Marianne Payot

il y a des livres  » maudits « , sur lesquels les réalisateurs se cassent les dents

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