« Principalement une victoire morale »

Professeur d’économie environnementale à l’UCLouvain, Thierry Bréchet estime que le coup porté à Shell par sa condamnation est surtout rude pour son image de marque.

Un groupe pétrolier, Shell en l’occurrence, condamné en justice à réduire de 45% ses émissions de CO2 d’ici à 2030: c’est un grand jour pour l’avenir de la planète?

Je ne suis pas juriste, je raisonne en tant qu’économiste. Contraindre une firme privée à réduire ses émissions de CO2 ne me paraît pas très crédible dans un contexte d’économie de marché. La réduction des gaz à effet de serre s’inscrit dans le cadre d’une régulation qui relève de chaque Etat, voire de chaque Région. Je vois mal comment forcer une multinationale à se conformer aux Accords de Paris sur le climat qui restent des promesses d’engagement non contraignantes à l’échelon national, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un groupe industriel. Un accord n’est pas un protocole tel que celui de Kyoto signé en 1997 (NDLR: sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre). On se situe donc avant tout dans le registre de la victoire morale.

Si j’étais le PDG de Shell, j’aurais du mal à dormir en ce moment.

Faut-il dès lors y voir une victoire sans lendemain pour la cause du climat?

Je ne dis pas ça. L’impact de ce type de jugement sera important, singulièrement sur les actionnaires d’une firme condamnée pour pollution et qui pourraient de ce fait s’en détourner. Les retombées en termes d’image de marque sont réels. Le cours de l’action peut descendre et le signal délivré par la justice néerlandaise peut conduire le client à ne plus aller faire le plein à une station Shell. Une entreprise sociétalement dépréciée, c’est la pire des choses qui puisse lui arriver. C’est en cela que le jugement rendu par le tribunal de La Haye peut avoir une efficacité. Si j’étais le PDG de Shell, j’aurais du mal à dormir en ce moment.

Traîner en justice des géants de l’industrie pétrolière fait donc sens?

Les mobilisations citoyennes et les actions des ONG peuvent se comprendre à la lumière de ce concept à la mode qu’est le bien commun. Quand des entreprises comme Shell, Total, Engie ou d’autres encore nuisent à ce bien commun qu’est le climat, la prise de conscience qui s’opère les pousse à changer de business model, à bouger ou au moins à faire semblant de bouger quand c’est au travers d’un intense greenwashing (NDLR: procédé de marketing utilisé pour se donner une image de responsabilité écologique trompeuse). Donc ce contrepouvoir, cette contre-force, oui, ça compte.

Les jours de l’industrie pétrolière seraient-ils comptés?

Un parallèle peut être établi entre ce qui arrive aux pétroliers et ce qui s’est produit avec les cigarettiers. Les fabricants de tabac ont été attaqués par des actions au civil, ce qui a fini par instiller un mouvement qui a conduit à apposer des photos monstrueuses sur les paquets de cigarettes. La consommation de tabac n’a certes pas disparu mais on fume tout de même beaucoup moins aujourd’hui. Pour rester dans le registre de l’industrie pétrolière, le fait que Total soit épinglée pour ses accointances avec la junte birmane dissuade le consommateur de se rendre à ses stations-service. Quant au « dieselgate » qui a mené Volkswagen au bord du gouffre, si le constructeur automobile peut aujourd’hui bénéficier d’un effet rebond dans la vente de ses véhicules, le scandale aura tout de même été un clou dans le cercueil du diesel dont la fin est programmée.

On imagine que les groupes pétroliers n’ont pas fini de faire de la résistance…

Les multinationales sont des paquebots qui mettent beaucoup de temps à changer de cap. Les industries fossiles le font soit en prenant conscience que la fin du pétrole se profile de toute façon, soit sous une pression extérieure exercée par des citoyens, des ONG, des clients, voire les salariés ou les actionnaires, pression en faveur de l’arrêt de l’exploitation pétrolière et du passage aux énergies renouvelables.

Shell est-il bien avisé de déclarer vouloir faire appel de la décision rendue par le tribunal de La Haye?

Ce choix témoignera d’une vision passéiste, passera pour un combat d’arrière-garde. S’accrocher à cette énergie fossile qu’est le pétrole n’a pas de sens. On continuera encore à l’exploiter durant quinze ou vingt ans avant que ces grands groupes pétroliers ne finissent par connaître le même sort que les charbonnages wallons.

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