POUTINE OU LA STRATÉGIE DU  » COUP D’AVANCE « 

Dans le jeu d’échecs dont il reste pour l’instant le maître, Vladimir Poutine n’a pas fini de surprendre ses partenaires occidentaux. Le bref résumé de l’intense activité internationale à laquelle il se livre depuis trois ans doit nous éclairer. Le 9 septembre 2013, après le bombardement chimique de la Ghouta, non loin de Damas, par les forces de Bachar al-Assad, il sort soudain de son chapeau une initiative diplomatique imprévue. Sous la pression russe, Damas accepte finalement de placer son arsenal chimique sous contrôle international : Poutine fait subitement baisser la tension. Le 18 mars 2014, changement de terrain, le président russe proclame l’annexion pure et simple de la Crimée. Le 5 septembre de la même année, il signe le protocole de Minsk 1, destiné à instaurer un cessez-le-feu entre séparatistes russes et forces ukrainiennes, non sans avoir pris la mesure des sanctions prises par l’UE à l’encontre de la Russie. En février 2015, devant la poursuite des hostilités dans l’est de l’Ukraine, France, Allemagne, Russie et Ukraine concluent un nouvel accord de pacification, Minsk 2, aujourd’hui menacé. Le 30 septembre 2015, Vladimir Poutine annonce une intervention militaire russe en Syrie. En cinq mois, les bombardiers russes effectueront 9 000 sorties, ce qui permettra à Assad de reprendre le contrôle d’environ 400 localités ; de quoi solidifier durablement le régime durant les négociations le mettant aux prises, à Genève, avec les différentes forces de l’opposition syrienne. Enfin, le 14 mars 2016, considérant que  » la tâche […] a été globalement accomplie « , Vladimir le redoutable ordonne à grand renfort de communication le retrait de la majeure partie des forces armées russes de Syrie.

A l’énoncé de cette séquence haletante, on mesure à quel point le sort de l’Ukraine et celui de la Syrie – qui n’ont pourtant rien à voir l’une avec l’autre – semblent parallèles, si ce n’est étroitement imbriqués. Or, à ce jour, s’il a mené à bien – de son point de vue – ses opérations en Syrie, le président russe n’a pas du tout atteint ses objectifs en Ukraine. C’est peut-être la clé de sa dernière manoeuvre diplomatique en Syrie. En dépit de l’obstination de la diplomatie de Washington, qui refuse de voir dans les avancées russes en Ukraine les conséquences de l’inflexion américaine au Moyen-Orient, les deux dossiers apparaissent indissociables aux yeux des stratèges du Kremlin. En juin 2016, le Conseil européen devra se prononcer sur la reconduction des sanctions sectorielles contre la Russie, mais la question engendre des divergences. Autant, durant l’été 2014, l’adoption de mesures de rétorsion visant Moscou était un point de consensus entre les 28 pays de l’Union, autant ce sujet ouvre aujourd’hui à débat : l’Italie et la Hongrie se sont notamment opposées au renouvellement automatique des sanctions. Confronté à une situation économique difficile, à laquelle s’ajoute la baisse tendancielle des prix du pétrole (ressource d’exportation primordiale pour la Russie), Poutine cherche à briser la muraille qui l’entoure en Europe. Dans ce but comme dans d’autres, il a un besoin vital de sortir son pays de l’isolement international. Après s’être montré incontournable par sa capacité à manier l’outil militaire, le leader russe joue maintenant de la solution du conflit syrien comme d’un autre moyen de peser sur le cours du monde. Il se verrait satisfait si un accord de paix en Syrie passait finalement par le rôle directeur de la Russie, quitte à tordre le bras de Bachar al-Assad après lui avoir sauvé la mise. Guerre ou paix, Poutine n’a qu’un but : garder un coup d’avance.

par Christian Makarian

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