» Pourtant, Ebola serait assez facile à endiguer « 

Que sait-on de l’épidémie de fièvre hémorragique qui ravage l’Afrique de l’Ouest, la plus grave à ce jour ? Origines, modes de contamination, risques d’extension… Eric Leroy, l’un des grands spécialistes de ce virus, explique pourquoi le pire peut être évité.

Eric Leroy est le responsable du centre de références  » Ebola  » pour les pays d’Afrique centrale – Cameroun, Angola, Congo, Tchad, etc. Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en France, il dirige également le Centre international de recherches médicales de Franceville, au Gabon – l’un des seuls laboratoires à très haute sécurité du continent africain susceptibles de diagnostiquer la plupart des fièvres hémorragiques de la région. Spécialiste internationalement reconnu du virus Ebola, il a reçu à ce titre, en 2009, le prix Christophe Mérieux de l’Institut de France.

Le Vif/L’Express : Les premiers cas de patients humains ont été repérés en 1976. Comment expliquer la réapparition de l’épidémie près de quarante ans plus tard ?

Eric Leroy : En réalité, Ebola n’a jamais quitté le continent africain ! Mais, contrairement à certains virus, comme le sida, qui s’installent de façon chronique dans l’organisme et provoquent des épidémies longtemps invisibles, le virus Ebola affecte l’organisme de façon aiguë, entraînant la guérison ou le décès rapide du patient. D’où cette  » flambée  » – apparition, disparition, retour… – à laquelle nous assistons aujourd’hui.

Pourquoi est-elle plus virulente cette fois-ci ?

Il existe en réalité cinq espèces distinctes du virus Ebola. L’une, appelée  » Reston « , se développe en Asie mais ne touche – en tout cas, à ce jour – que les singes. Une autre, présente en Côte d’Ivoire, a été identifiée chez une femme – sans conséquences létales toutefois. Les trois autres sont en revanche potentiellement mortelles pour l’homme, à des degrés divers : la  » souche  » ougandaise provoque 25 % de décès, celle du Soudan, 50 % ; quant à Ebola-Zaïre, le taux de mortalité atteint les 80 %, et c’est elle qui sévit actuellement en Afrique centrale.

Sait-on comment ce virus, qui ne touchait jusque-là que les chauves-souris, est passé à l’homme ?

Dans cette région d’Afrique, les chauves-souris sont naturellement infectées par Ebola, sans pour autant développer de maladies particulières. L’hypothèse la plus probable est que le virus s’est d’abord transmis dans des populations qui les consommaient – par contact avec leur sang, au moment du dépeçage ou de la manipulation des animaux morts. Autre piste possible : une contamination indirecte par de grands singes (chimpanzés ou gorilles), qui présentent la même sensibilité au virus que l’espèce humaine. Durant les années 2000, près de 80 % d’entre eux sont morts dans cette région. Des villageois ont pu être contaminés en manipulant leurs carcasses.

Quels sont les modes de contamination interhumains ?

L’épidémie se propage à travers ce que l’on appelle les  » fluides biologiques « , qui contiennent du virus en quantité importante : sang, vomissures, diarrhées principalement. La famille, mais aussi les proches ou le personnel soignant, s’infectent en nettoyant les chambres ou les lits des patients – voire les malades eux-mêmes directement. Quant à d’autres fluides, comme la salive et la sueur, ils ne sont pas exclus, mais les risques semblent beaucoup plus faibles.

Par quels mécanismes le virus envahit-il les cellules jusqu’à provoquer la mort ?

La première cible du virus, ce sont les macrophages, des cellules de défense de l’organisme dont la destruction impacte le système immunitaire et déclenche indirectement l’apoptose (processus de destruction) de nos lymphocytes. Deux jours plus tard environ, le virus s’attaque aux cellules endothéliales, celles-là même qui recouvrent la paroi des vaisseaux sanguins. Conséquence : un phénomène de destruction massive – comme une bombe atomique ! – entraînant un choc septique et une anoxie (manque d’oxygène) des organes. Tout se passe donc très vite et explique le fort taux de mortalité.

Les médecins disposent-ils de médicaments adaptés ?

Il n’existe malheureusement aucune thérapeutique de routine qui soit efficace contre Ebola. En situation épidémique, les médecins en sont réduits à proposer des solutions palliatives : antipyrétiques, pour faire baisser la fièvre, perfusions de glucose, pour réhydrater le patient, antidiarrhéiques, pour réguler le transit… En d’autres termes, en l’absence de médicament spécifique, on cherche avant tout à contenir les conséquences néfastes de l’infection.

Il n’y a donc rien à faire ?

Si ! La  » chance  » des autorités sanitaires réside dans le fait que ce mode de contamination – par contact direct avec les fluides – est plus facile à maîtriser que d’autres. Contrairement à la transmission par voie respiratoire par exemple, il suffit en effet d’éviter tout contact corporel direct. La première mesure consiste donc à isoler les personnes qui ont approché des malades dès l’apparition de symptômes évocateurs de fièvre hémorragique, et à faire inhumer les corps par des équipes spécialement équipées et protégées.

Le traitement administré à deux Américains contaminés constitue-t-il un espoir ?

Même si les scientifiques ont bien avancé dans ce domaine, la recherche était, jusqu’à une époque récente, au point mort, car les firmes pharmaceutiques hésitaient à se lancer sur ce marché. Avec la flambée que nous connaissons, il redevient urgent de travailler sur le cocktail d’anticorps qui s’est révélé efficace chez les macaques. Pour peu que les choses se passent bien, un tel  » vaccin thérapeutique  » pourrait être disponible d’ici à deux ou trois ans.

En Afrique, les populations touchées semblent très réticentes face à ces mesures de prophylaxie. Comment contourner cet obstacle ?

Par un travail d’information et de sensibilisation constant. Mais ce n’est pas si simple : dans cette région d’Afrique, les populations sont réfractaires à une inhumation rapide, car celle-ci entre en contradiction avec des rites funéraires essentiels. Avant d’enterrer un mort, il convient de l’exposer dans sa famille, et de le pleurer pendant plusieurs jours en touchant son corps. Du coup, dans certains villages, on cache l’apparition du virus, ce qui fait courir de grands risques à tous les visiteurs.

L’épidémie est-elle actuellement  » hors de contrôle « , comme le redoute l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

Dans la mesure où elle est assez facile à endiguer, puisqu’il suffit d’éviter de toucher un malade, je ne serais pas si pessimiste. Mais la situation reste inquiétante. L’épidémie se développe à la frontière de trois Etats. Les mouvements de population entre les pays rendent délicate la mise en place de mesures cohérentes à grande échelle. En outre, les traitements ont un coût, que les patients ne peuvent prendre en charge, et le personnel fait défaut pour empêcher tout contact direct avec leur famille. Tant que l’épidémie est contenue dans des villages isolés, le pire est évité. Mais, si elle se propage dans de grandes villes surpeuplées, cela pourrait se traduire par des dizaines de milliers de morts.

Propos recueillis par Vincent Olivier

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