Pourquoi faire d’une amie un ennemi ?

Ils sont majoritaires, c’est un fait. Ils le sont dans presque toute l’Europe. Le vent souffle, maintenant, de leur côté, mais quelles sont les raisons des adversaires de l’entrée de la Turquie dans l’Europe ?

Les uns disent qu’elle n’y serait qu’un sous-marin des Etats-Unis. Ce sont ceux dont l’antiaméricanisme détermine les choix politiques, mais, même de leur point de vue, ils ont tort. Ils font la même erreur que George W. Bush et Donald Rumsfeld, qui croyaient eux aussi que la Turquie n’était qu’un vassal de l’Amérique. Ils le croyaient si fort que tous leurs plans d’entrée en Irak présupposaient l’utilisation du territoire turc ; or, malgré les cajoleries et les pressions de Washington, la Turquie s’est tenue aux côtés de Paris et de Berlin, prouvant par là que ses décisions n’étaient pas prédéterminées par les Etats-Unis mais par son intérêt national, ou l’idée qu’elle s’en fait.

D’autres disent que la Turquie sera bientôt plus peuplée que l’Allemagne et qu’elle disposerait donc, le jour où elle entrerait dans l’Union, dans quinze ans au minimum, de la plus forte représentation nationale au Parlement européen. Oui, ce serait en effet possible, mais la Turquie est un pays pluraliste dont les députés, comme ceux de tous les pays membres, siégeraient tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt ailleurs. Même en admettant l’hypothèse, totalement absurde, selon laquelle ses élus créeraient, en bloc, un groupe musulman à Strasbourg, même en raisonnant en termes d’islam et de chrétienté, que pèseraient, dans l’Union, 70 millions de musulmans face à 500 millions de chrétiens ?

D’autres encore disent que l’Europe doit être une communauté de valeurs. Ils ont raison. C’est pour cela que l’Union pose à la Turquie, comme à tous les pays candidats, des conditions, économiques et politiques, préalables à l’ouverture de négociations, mais, dès lors qu’elles seraient remplies, quelle serait la différence entre les valeurs de l’Union et celles d’un pays laïque, démocratique, membre de l’Alliance atlantique depuis plus d’un demi-siècle et se reconnaissant si fort dans l’Europe ?

D’autres, enfin, disent que la majeure partie de la Turquie se trouve  » en Asie  » ; or, que l’on sache, l’Europe n’est pas une île. Contrairement à l’Amérique, cernée par deux océans, elle a une continuité territoriale avec d’autres continents et ses frontières sont donc non pas géographiques mais politiques. C’est un choix qui les détermine, une convergence d’intérêts.

Celui de l’Europe ne serait certainement pas de briser quarante ans de rapprochement avec la Turquie au seul motif qu’elle est musulmane. Ce serait lui dire que Ben Laden a raison, la repousser dans ce monde arabe auquel elle n’appartient pas, avec lequel elle a autant à voir que la démocratie chrétienne avec les fondamentalistes protestants. Ce serait faire un ennemi blessé d’une amie empressée. On peut se tirer dans le pied, mais ce n’est pas plus utile que nécessaire. l

Bernard Guetta

L’intérêt de l’Europe ne serait pas de briser quarante ans de rapprochement avec la Turquie au seul motif qu’elle est musulmane

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