Pour une poignée de milliards

Deux livres sortent simultanément sur l’affaire Banier-Bettencourt. Jean-Marc Roberts déclare son amitié au sulfureux photographe, tandis que Marie-France Etchegoin revient sur les coulisses de ce feuilleton extraordinaire. Lectures comparées.

François-Marie

par Jean-Marc Roberts.

Gallimard, 100 p.

Genre : déclaration d’amitié. François-Marie Banier n’est désigné ici que par des  » mon c£ur « ,  » mon ange « ,  » mon trésor « . Pourtant, coquetterie d’auteur un peu exaspérante ou volonté de se prémunir contre de bien improbables poursuites judiciaires, c’est le mot  » roman  » qui figure sur la couverture de ce livre bref qui se lit d’une traite. Romancier et éditeur (il est aujourd’hui patron de Stock), Jean-Marc Roberts se souvient de ses seventies insouciantes avec  » FMB « , qui fut son témoin de mariage : parties de gin-rummy sur les toits du  » Palais Servandoni  » (ce dédale d’appartements du photographe, à deux pas du jardin du Luxembourg, à Paris), virées au casino d’Enghien avec Aragon, tournées des boîtes gays de la rue Sainte-Anneà

Mi-Tadzio, mi-Donald Duck : après s’être perdus de vue pendant trente ans, Roberts et Banier renouent au moment de l’affaire Bettencourt, à l’initiative du premier. De l' » affaire  » elle-même, cependant, quasiment pas un mot dans ces pages. Elle est balayée d’une formule :  » Tu es tellement plus intéressant qu’intéressé « , écrit Jean-Marc à propos de François-Marie. De là à prêter une  » haine de l’argent  » à celui qui aura tout de même reçu 917 millions d’euros de l’héritière de L’Oréal, c’est peut-être pousser l’amitié un peu loinà Pour autant, son portrait du photographe n’a rien du panégyrique :  » Tu as 63 ans, tu as pris du ventre, tu deviens chauve « , constate Roberts de celui dont la beauté, jadis, a fait chavirer Aragon, Dali ou Horowitz. Ajoutons à cela une voix de canard, des manières envahissantes et un parler cru –  » Ta mère et sa s£ur, elles sont gougnasses ?  » lance-t-il tout à trac à l’auteurà L’amitié, on le voit, n’exclut pas la cruauté.

Victimes collatérales : Liliane Bettencourt, qui n’apparaît que comme  » la vieille  » ; Marie-Hélène de Rothschild, autre héritière fortunée, gracieusement qualifiée de  » guenon  » ; mais la cible obsessionnelle de Roberts – neuf attaques en 100 pages ! – c’est ce journaliste du Point,  » blond « ,  » rustre « ,  » à l’air satisfait « , symbole de l’acharnement médiatique contre son cher  » ange « . Roberts met un point d’honneur à ne jamais citer son nom (rendons-le lui ici : Hervé Gattégno). Il omet surtout de préciser un petit détail au lecteur : ce journaliste auquel il prête tous les défauts de la terre mais dont il semble ignorer le patronyme, il en est le fidèle éditeur depuis de longues années ! Il a publié trois de ses enquêtes dans sa propre maison, Stockà

Enfin, dernière victime collatérale : Jean-Marc Roberts lui-même, qui ne se ménage guère. Tout y passe : ses  » petits romans de saison « , son indécision sexuelle qui se mue en fuite en avant névrotique – succession de liaisons, cinq enfants – ses petites man£uvres au moment des prix littérairesà Cet autoportrait en creux aurait pu tout aussi bien s’intituler Jean-Marc. Moins vendeur que François-Marie, sans doute, tant sont rares les prénoms charriant dans leur sillage tant de mystères et de milliardsà

Un milliard de secrets

par Marie-France Etchegoin.

2 Robert Laffont, 334 p.

Genre : enquête fouillée, qui se lit comme un roman vrai –  » un psychodrame entre Balzac et Mauriac « , annonce sans mentir la quatrième de couverture. Marie-France Etchegoin a digéré des centaines de procès-verbaux, d’expertises médicales, d’écoutes de majordome, de confidences des uns et des autres – bref, cette succession de rebondissements qui avaient fini par rendre le  » feuilleton Banier-Bettencourt  » un peu difficile à suivre – pour les restituer en un récit parfaitement fluide. Pas de scoop atomique, ici, mais une profusion de révélations qui livrent les clés d’un roman français haletant.

Dallas-sur-Seine : à vrai dire, ce livre est surtout ravageur pour la famille Bettencourt : Eugène Schueller, fondateur de la dynastie, financier de la Cagoule ; André, mari de Liliane, sorte de prince consort de la cosmétique rattrapé par ses écrits antisémites sous Vichy ; Liliane elle-même, toujours dépassée par les événements, partageant son temps entre sa coiffeuse personnelle, ses dîners ennuyeux avec Albin Chalandon et les conseils d’administration de L’Oréal ; Françoise, leur fille, qui se réfugie dans ses trois heures quotidiennes de piano ; l’époux de cette dernière, Jean-Pierre, petit-fils de rabbin, que Liliane a surnommé  » le Chapon « à Seul Thomas, le teckel de  » Madame « , est épargné. On apprend au passage que Liliane Bettencourt a légué un appartement et 1 million d’euros à Enrico, son garde du corps, pour qu’il prenne soin du cher quadrupède après sa mortà

La zizanie : dans le huis clos de l’hôtel particulier de Neuilly, tous se méprisent et s’espionnent. Et, au milieu, incontrôlable, Banier pisse dans les plantes et traite  » Madame  » de  » conne « . Charmante ambianceà Par ricochet, cette galerie de personnages falots jette une lumière crue sur le photographe : lui qui a fréquenté tant de personnalités charismatiques – Dali, Mitterrand, Johnny Deppà – que pouvait-il bien trouver à cette héritière coincée et à moitié sourde ? La réponse se trouve peut-être dans cette lettre hallucinante du photographe, citée par Marie-France Etchegoin :  » Chère Liliane, Il faut attendre la hausse des taux d’intérêt pour la convergence avec l’euro. Là où vous avez des bénéfices supérieurs à 50 %. Ne plus acheter des valeurs sur indices mais des midcaps « à L’auteur évalue à 300 millions la somme qui reste à Banier, après la paix conclue entre Liliane Bettencourt et sa fille en décembre dernier.  » Il m’a rénovée « , dira  » Liliane  » du photographe en guise d’explicationà Oui, Balzac – avec ses notaires, ses médecins, ses capitaines d’industrie. Oui, Mauriac – le carcan des convenances, les failles intimes, les fantômes encombrants de l’histoire de France. Mais peut-être plus encore Molière – soubrettes, précieuses ridicules, médecins malgré eux, bouffon, et, bien sûr, la trop fameuse cassetteà

JÉRÔME DUPUIS

Pour Jean-Marc Roberts : un homme  » tellement plus intéressant qu’intéressé « 

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