La Captive, Chantal Akerman, 2000. © DR

Pour que vivent les images

Restaurer les films, les nettoyer, les réparer, les digitaliser, bref, leur redonner vie. Le beau travail de la Cinematek, à Bruxelles, s’expose au public dans Restored… et un peu partout.

Le message arrive de Los Angeles, où une équipe s’affaire à restaurer Detour, le film noir culte réalisé en 1945 par Edgar G. Ulmer. La prestigieuse Académie (celle qui décerne aussi les Oscars) y annonce au responsable de la Cinematek de Bruxelles que c’est la copie du film conservée chez nous qui servira pour la restauration ! Elle avait été scannée puis envoyée aux Etats-Unis où sa qualité optimale, la netteté de ses images en noir et blanc sublime, ont littéralement bouleversé les Américains. La copie nitrate (1), exploitée en Belgique immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, était directement tirée du négatif original… qui n’existait plus. Comme elle comportait des sous-titres bilingues, les restaurateurs de l’Académie de L.A. ont dû effacer ces sous-titres digitalement. Au total, la restauration de Detour aura coûté plus cher que le film lui-même !

 » Aujourd’hui, le film restauré est montré dans les festivals du monde entier, il est sorti sur DVD et Blu-ray Disc en Amérique. Y avoir contribué est une immense fierté pour nous !  » L’homme qui partage son émotion est Bruno Mestdagh, grand responsable de la conservation et de la restauration au sein de la fabuleuse collection de films réunie par la Cinémathèque royale de Belgique. L’exemple de Detour illustre à merveille l’importance du travail qui se fait en nos murs, et que le programme Restored viendra mettre en valeur du 20 au 30 novembre (2). Dix jours de projections de films restaurés qui mettent sous le feu des projecteurs le formidable travail et l’expertise reconnue internationalement de celles et ceux qui oeuvrent chez nous à la restauration du patrimoine cinématographique belge et mondial. Detour fait bien sûr partie des films retenus.

Un long et passionnant processus

 » Nous restaurons en moyenne une trentaine de films par an, de longs métrages mais aussi quelques courts « , explique Bruno Mestdagh. Si la restauration de tableaux fait désormais l’objet d’une exposition médiatique dépassant largement le cercle des amateurs de peinture, celle des films reste globalement ignorée du grand public. Le travail consiste d’abord à comparer les copies existantes de tel ou tel film pour y sélectionner la ou les meilleures, à la fois en matière de longueur (la plus complète possible) et de qualité visuelle comme sonore (sauf si le film est  » muet « , bien sûr). Ensuite vient toute une série d’opérations dont le décollage (la pellicule ancienne enroulée en bobines peut avoir adhéré), le nettoyage, la suppression des rayures, la réparation des perforations, entre autres.  » L’objectif est de reconstituer le film au plus près de son état original à l’époque de sa sortie « , résume Bruno Mestdagh. S’ajoute aujourd’hui, d’évidence, le passage par la case digitale, la numérisation du film restauré.

Detour, Edgar G. Ulmer, 1945. Au final, la restauration aura coûté plus cher que le film lui-même.
Detour, Edgar G. Ulmer, 1945. Au final, la restauration aura coûté plus cher que le film lui-même.© DR

 » La première priorité dans le choix des films à restaurer va très logiquement au cinéma belge, c’est même une mission pour nous « , signale à juste titre Bruno Mestdagh. Les films de Chantal Akerman font par exemple l’objet d’un programme de restauration systématique, développé sur plusieurs années et dont La Captive est la dernière réalisation en date. Un film de l’année 2000. Mais pourquoi faut-il déjà restaurer une oeuvre aussi récente ?  » Les films concernés ont été tournés sur pellicule, 35 mm le plus souvent, précise notre interlocuteur, et l’industrie de la pellicule est quasiment morte. Il est désormais très compliqué de faire des copies de distribution, et la majorité des salles ne sont plus équipées pour projeter la pellicule, tout le matériel de projection est digitalisé. Notre but étant de permettre la plus grande diffusion possible des films retenus, que ce soit en salle ou sur DVD/Blu-ray, la digitalisation s’impose. Aussi pour les films plus anciens. La différence est juste qu’il y a moins de nettoyage à faire sur les plus récents car ils sont moins usés. Mais la procédure est fondamentalement la même.  » Pour les films étrangers, la plupart des restaurations se fait en partenariat avec des institutions d’autres pays (Etats-Unis, France, Japon, etc.) :  » On reçoit des demandes et ça se fait ou pas, selon que nous possédions ou non une copie du film en meilleur état que celle qu’ils ont déjà à leur disposition.  » Vu la haute tenue des collections de la Cinematek, c’est régulièrement le cas.

Le budget consacré à tout ce travail, Bruno Mestdagh ne nous le dévoilera pas précisément, mais il révèle qu’il… diminue d’année en année.  » C’est la Belgique !  » lâche-t-il, quelque peu fataliste. Il faut rappeler que la Cinematek est une des rares institutions culturelles belges à rester unitaire, non communautarisée. Certains responsables publics venus du sud comme du nord du pays n’ont dès lors pas comme préoccupation première de sanctuariser les moyens dont elle peut disposer…

Perles et raretés absolues

La programmation Restored offre des perles en quantité, des raretés de tout premier choix. Comme ce Château sous le vent et les nuages ( Fûun jôshi), mélodrame japonais de 1928 dont la Cinematek a retrouvé et restauré l’unique copie au monde ! Comme aussi le classique du réalisme poétique de Marcel Carné Le Jour se lève (1939) avec une scène supplémentaire qu’on a cru longtemps perdue. Ou comme encore le court métrage des frères Dardenne Il court… il court le monde (1987). Sans oublier le fantastique et expressionniste Golem de Paul Wegener (1920), dont Bruxelles avait conservé le négatif d’origine.

Nicola Mazzanti, le conservateur de la Cinematek, a longtemps travaillé dans un laboratoire de restauration à Bologne et connaît le métier mieux que personne. Gageons qu’il aura toujours à coeur de préserver et développer dans la mesure du possible cette activité cruciale. En usant des (coûteuses) technologies dernier cri comme celle de l’infra-rouge permettant de détecter rayures, griffes et saletés de manière automatique.

(1) Le nitrate de cellulose était utilisé sur la pellicule cinématographique, rendant celle-ci très inflammable et donc fort délicate à conserver.

(2) Restored : à la Cinematek, à Bruxelles, du 20 au 30 novembre. www.cinematek.be

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