Point de fuite

Abderrahmane Sissako filme l’attente de quelques exilés et candidats au départ sur la côte mauritanienne dans En attendant le bonheur, une ouvre poétique et significative

Il est arrivé, a posé sa valise, a salué sa mère et s’est installé là, pas pour longtemps sans doute, juste dans l’attente d’un bateau pour l’Europe. Il s’appelle Abdallah et contemple la mer avec un mélange de crainte et d’espoir. Nous sommes à Nouadhibou, petite ville arrimée à une presqu’île de la côte mauritanienne. Bien des exilés ou candidats à l’exil déambulent au soleil, venus d’ailleurs et souvent en partance pour une autre destination, qui ne sera sans doute pas la dernière. Maata, un ancien pêcheur devenu électricien, a lui aussi songé à l’émigration. Mais il a vu le corps de son ami, qui l’avait précédé, revenir sur la plage, point final d’une trajectoire brutalement interrompue. Bouleversé, Maata a décidé de rester à Nouadhibou, où il forme un jeune apprenti, Khatra, un enfant curieux et espiègle qui apprendra à Abdallah la langue locale, pour qu’il quitte sa solitude, son silence. Même si ce n’est que pour peu de temps. Certaines filles du coin donnent tellement envie de leur parler…

En attendant le bonheur nous emmène « de l’autre côté », pour reprendre le titre du dernier film de Chantal Akerman consacré aux immigrants mexicains entrant clandestinement aux Etats-Unis. Sur cette côte d’Afrique du Nord où Aberrahmane Sissako a posé sa caméra, la question du grand départ, de l’émigration vers l’Europe, tout à la fois si proche géographiquement et si éloignée par les aléas du voyage et de la réception, se pose de l’intérieur. Nouadhibou voit circuler des membres de plusieurs peuples, réunis temporairement par les mêmes rêves d’une existence meilleure, ailleurs, à portée de désir et de traversée. Le cinéaste mauritanien filme à hauteur d’Homme, avec une impressionnante dignité, ces personnages et ceux qui les entourent. De leurs destins croisés, nous ne saurons pas tout. Le but de Sissako n’est pas d’expliquer mais de donner à voir, à sentir aussi. Le soleil de plomb, le vent soulevant le linge mis à sécher prennent une évidence sensuelle dans le très beau film d’un réalisateur poète, auteur déjà d’un remarquable La Vie sur terre où un cinéaste africain vivant en France partait retrouver son père resté au Mali. A l’heure où, faute d’argent, les cinémas d’Afrique éprouvent de plus en plus de mal à survivre, la sortie chez nous (1) d’ En attendant le bonheur est comme une éclaircie. Une embellie trop brève et d’autant plus précieuse où il nous est permis de découvrir, d’apprécier l’oeuvre d’un authentique artiste, doublé d’un témoin. Dans la forme comme par le thème abordé, le film d’Abderrahmane Sissako est une oeuvre importante, admirable, même si la discrétion, la retenue, la sobriété sont au nombre de ses principales qualités.

Louis Danvers

(1) En première exclusivité au Studio 5 de Flagey, à Bruxelles.

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