André Popp et son fils Daniel, chanteur, dans le jardin de la maison familiale, en 1971. © MICHEL RISTROPH/PHOTO NEWS

Pimpant Popp

Sa chanson-tube Love Is Blue reprise dans la nouvelle campagne mondiale d’Adidas, la réédition d’albums en digital et la sortie d’un superbe coffret : André, plus Popp que jamais.

 » Mon père était un boulimique de travail, on ne le voyait d’ailleurs pas énormément : il a dû sortir une vingtaine de disques instrumentaux, écrit et arrangé des centaines de chansons pour Juliette Gréco, Marie Laforêt, Jane Birkin, Barbara, mais aussi Marianne Faithfull, Herman’s Hermits ou Brigitte Bardot. Et puis là, depuis quelques semaines, je ne sais pas ce qui se passe, la demande est incroyable, que ce soit l’opération menée par Universal de rééditer ses albums, le récent coffret ou de nombreuses synchros comme la nouvelle pub d’Adidas qui reprend son tube Love Is Blue, joué par Liberace… L’une des trois cents versions et plus qui existent.  » Au téléphone, de sa banlieue parisienne où il nous avait initialement invité à consulter ses documents et archives, Daniel Popp, de mère belge, 70 ans en juillet, s’enthousiasme. Conformément à une nature familiale visiblement contagieuse. L’un des trois enfants d’André Popp (1924 – 2014), il est en charge de la gestion du vaste répertoire composé, dirigé, orchestré, imaginé par le paternel.

Pour mon père, la musique a joué comme une vraie résilience.

Dans sa bible, Les Arrangeurs de la chanson française (éd. Textuel, 2018), Serge Elhaïk – qui lui consacre pas moins de 28 pages – définit ainsi André Popp :  » Un sens inné de la musique populaire et des harmonies insolites qui frottent le do. Parfait autodidacte ou presque, génial créateur, il est resté dans l’ombre malgré une oeuvre très riche, jalonnée par des tubes internationaux sur fond d’explorations musicales en tous genres.  »

Si monsieur Popp est un homme de l’ombre (relative), celle-ci se montre large et un rien mystérieuse, enveloppant un parcours de plus de soixante années. Où émerge la question : quel est le point commun entre son album phare de 1956, Piccolo, saxo et compagnie, conte musical raconté par l’acteur François Périer (brillante présentation de la symphonie d’instruments aux enfants), et les innombrables contributions aux chansons d’autrui ? Ne fût-ce que le monument brelien Quand on n’a que l’amour. D’ailleurs plutôt un contre-emploi, jouant d’arrangements plus graves qu’à l’habitude de Popp :  » Papa était d’ailleurs un peu fatigué du désir de Brel de toujours amener dans ses chansons un crescendo.  »

Parmi la multitude d'artistes pour lesquels Popp a composé, on retrouve notamment Marie Laforêt.
Parmi la multitude d’artistes pour lesquels Popp a composé, on retrouve notamment Marie Laforêt.© DR

On découvre la vaste palette de genres via l’actuelle réédition digitale de son travail et plus encore par le gourmand coffret de six CD paru fin 2019, La Musique m’aime. OEuvres choisies (1), toujours chez Universal (qui a récupéré un maximum de masters originaux). Daniel Popp, lui, possède aussi des bandes de cette giclée de musique, tsunami de 133 titres, dépassant les sept heures de sonorités le plus souvent enjouées. Une quasi-constante parcourt ce résumé de carrière entre génériques radio/télé, envolées instrumentales, orchestrations haute couture, compositions persos et diverses versions de Piccolo, saxo et compagnie : un ton pimpant, volontaire, aérien, fruité voire carrément céleste, convié dans ce qui ressemble à un énorme appétit de vie comme de musique.

Olivier Messiaen

 » Papa n’a pas eu une enfance très facile et même un petit peu lourde, explique Daniel Popp. Sa mère a été veuve trois fois, merci à la guerre 14-18 ! Son père, médecin colonial, est mort très jeune, quand papa avait 6 ans. Et puis, il y avait aussi une demi-soeur partie précocement. D’où une enfance dans une ambiance de deuil. Pour mon père, la découverte de la musique a joué comme une vraie résilience. Il a commencé à apprendre le piano avec une excellente pédagogue au niveau solfège, ce qui a été fondamental.  » Le jeune Popp ne fait pas le conservatoire mais, encore au collège, se trouve à la place du curé organiste – parti au front – pour jouer la partition des offices.

Brigitte Bardot a elle aussi collaboré avec ce boulimique de travail.
Brigitte Bardot a elle aussi collaboré avec ce boulimique de travail.© BELGAIMAGE

 » Lorsqu’on parle de la musique d’André Popp, poursuit son fils Daniel, on fait aussi allusion à quelque chose de très moderne, avec des audaces harmoniques, qui sont parfois dissonantes, qui  » frottent  » comme on dit. Et je sais précisément comment elles lui sont tombées dessus : quand il était enfant, il a fait une espèce de dépression et sa mère l’a envoyé chez son demi-frère qui était médecin dans les Deux-Sèvres (NDLR : centre-ouest de la France). Là, il y avait un juge de paix, assez fantasque, qui a initié mon père à toutes les musiques précontemporaines.  » Au fil de son parcours, André Popp glane une référence ultime, celle du compositeur Olivier Messiaen qu’il rencontre à la fin des années 1940 et qui adoube ses musiques. Fan de Gabriel Fauré (moins de ce qui le précède), il fait aussi la connaissance de Jean Broussolle, qui fera partie des Compagnons de la chanson.

En arrivant à Paris en 1944, Popp mange de la vache enragée mais se consacre alors complètement à sa propre libération qu’est la musique. Jouant comme pianiste au mythique cabaret Les Trois Baudets, pondant des idées pour le théâtre. D’où, sans doute, la force de ses premières musiques réfugiées dans l’imaginaire : André s’invente mentalement ses propres émissions radio-télés qui le préparent aux véritables diffusions ultérieures, celles de Babar ou du Mot le plus long. L’artiste se retrouve en électron libre, travaillant en famille dans une  » pièce interdite aux enfants « , et apprend la structure du format chanson, assez loin de la musique dite sérieuse. Daniel Popp raconte :  » La musique populaire, au plus noble sens du terme, lui parle et il va avoir à la faire, même avec les audaces orchestrales, les notes dissonantes ou autres. Il s’est retrouvé à la fois dans le sillon de la musique concrète à la Pierre Schaeffer mais aussi en compagnie de Boris Vian et de l’intelligentsia de l’époque. Et là, c’est extraordinaire, on lui a donné sa chance !  »

Des orchestrations résolument modernes, comme dans La Complainte du téléphone, chantée par Juliette Gréco.
Des orchestrations résolument modernes, comme dans La Complainte du téléphone, chantée par Juliette Gréco.© GETTY IMAGES

Frank Zappa

A l’écoute du coffret (d’excellent rapport qualité/prix) ou des rééditions digitales des albums de Popp, il apparaît de toute évidence que l’Amérique est passée par là, par les arrangements joyeusement cuivrés, et ces intonations soniques échappées d’un Disney qui se serait teinté d’Europe.  » Oui, l’inspiration jazzistique est notable, pointe Daniel Popp. Le coffret intègre ces influences, incorporant également les audaces de Gershwin ou de Bernstein. West Side Story a, de toute évidence, marqué son travail.  » Intrusion majeure dans ce flux musical : les ondes Martenot, extra- ordinaire instrument électro-préhistorique mis au point fin des années 1920 qui vibre dans les morceaux comme une flûte rêveuse ou un clavier superétoilé.

André Popp franchit aussi en un demi- siècle les étapes naturellement technologiques, du 78-tours au CD et au digital, du mono radiophonique au stéréo et davantage. Passent donc les ingés sons pour traduire les fantasmes musicaux de l’arrangeur/compositeur qui incluent également la participation vocale de son épouse. Son atout ? Ecrire aussi des succès comme Les Lavandières du Portugal qui, dès le milieu des années 1950, renflouent le compte en banque.  » Il y a des choses étonnantes qui sont reprises dans le coffret, souligne Daniel Popp, comme la façon dont certains morceaux de mon père sonnent. Par exemple ,dans Hifi Ouverture, on peut entendre comment résonnera le futur répertoire de Frank Zappa qui avait 16 ans à l’époque et qui ne pouvait pas connaître André Popp ! Ce qui me touche, c’est cette modernité alors qu’a priori, ma génération s’est davantage intéressée à Jimi Hendrix ou John Coltrane. Bien plus tard, en travaillant sur le coffret, j’ai réalisé combien les orchestrations, par exemple celles de La Complainte du téléphone chantée par Juliette Gréco, sonnent de façon résolument moderne.  »

Coffret: La Musique m'aime. OEuvres choisies, chez Universal.
Coffret: La Musique m’aime. OEuvres choisies, chez Universal.

Dean Martin

Preuve de ce fourmillement créatif, la patte d’André Popp traverse les frontières. Avec son Love Is Blue qui, à partir de 1967, fera un carton international, particulièrement aux Etats-Unis. Le titre se retrouve aujourd’hui dans la campagne mondiale d’Adidas via la version de Liberace, pianiste fameux pour ses frasques, plus sobre ici qu’à l’habitude. Même si le chiffre qui figure sur Internet – 40 millions de 45-tours écoulés – paraît fantaisiste, y compris à Daniel Popp, la chanson reste l’une des créations d’origine francophone les plus vendues au monde. En 1968, Love Is Blue devient numéro un dans les charts américains via l’interprétation d’un certain Paul Mauriat.  » Il est resté cinq semaines au sommet du hit-parade américain, se se réjouit Daniel Popp. Cette année-là, Love Is Blue n’a été devancé, question durée, dans les classements, que par le Hey Jude des Beatles… Tous les crooners comme Dean Martin et Bing Crosby – sauf Frank Sinatra qui n’aimait pas le texte adapté en anglais – l’ont chanté ! Et récemment, j’ai découvert d’autres versions américaines mais aussi canadiennes, japonaises ou brésiliennes qui n’ont rien à voir entre elles. C’est cela qui est extraordinaire ! Je vais vous faire une confession : j’imaginais que la première anthologie consacrée à André Popp aurait un impact médiatique, mais non, pas vraiment. En revanche, l’oeuvre de papa n’a jamais été autant mise en pleine lumière. « 

Décalage moderne, charme et redécouverte, André Popp, inconnu célèbre, mérite de revenir dans l’écoute actuelle. Parce que la Popp musique semble aussi désarmante que contemporaine.  » Si un jour, j’ai le courage d’écrire un bouquin sur mon père, conclut Daniel Popp, j’insisterai pour dire que chez lui, l’importance de la mélodie est fondamentale. C’est à la fois le coeur de l’oeuvre, quantitativement mais aussi qualitativement, dans un sens résolument culturel.  »

(1) Coffret La Musique m’aime. OEuvres choisies, chez Universal.

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