Pimpaneau, chineur de littérature

Dès 1934, il traquait les écrits de l’empire du Milieu. Rencontre avec un sinologue érudit, auteur d’une antho-logie remarquable

Il est tombé tout petit dans l’encre de Chine et, depuis, n’a plus cessé d’y tremper sa plume. On doit à Jacques Pimpaneau, sinologue né en 1934, Chine, histoire de la littérature, Célébration de l’ivresse ou Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine, tous chez Picquier, qui publie sa remarquable Anthologie de la littérature chinoise classique. Erudit amateur de marionnettes et d’ombres chinoises, ami de Georges Bataille, il fut secrétaire de Dubuffet, fréquenta Louis-René des Forêts et traduisit avec Pierre Klossowski un érotique chinois, ce qui ne l’empêche pas d’apprécier Swift, Prévert ou La Rochefoucauld. Il vit aujourd’hui à Lisbonne, où il s’occupe de la collection Kwok On, consacrée à l’art populaire asiatique.

Quelle est la période de l’Histoire où la littérature chinoise a véritablement  » explosé  » ?

La grande période de la littérature chinoise est celle des Tang, du viie au xe siècle, quand la Chine était ouverte aux cultures étrangères. Cela s’est gâté lorsqu’elle s’est refermée sur elle-même.

Quels ont été, à travers les âges, les tabous, dans la littérature chinoise ?

Les écrivains chinois ont critiqué les gouvernants qui n’appliquaient pas à eux-mêmes les règles qu’ils imposaient aux autres. Taoïstes, ils ont trouvé une échappatoire en refusant de jouer le jeu social, mais û là est le tabou û sans jamais remettre en question les bases mêmes du confucianisme et de l’empire autocratique.

Y a-t-il eu, avant le xxe siècle, des femmes écrivains, en Chine ?

Bien sûr. La plus célèbre est la poétesse Li Qingzhao. Il faut aussi mentionner la poésie des courtisanes, dont Xue Tao, qui figure également dans mon anthologie.

Repère-t-on, dans la littérature chinoise classique, des styles, des catégories aussi tranchés qu’en Occident : Stendhal et la passion, Balzac et l’argent, Zola et le corps social ?

Les auteurs chinois se caractérisent surtout par l’opposition entre pensée taoïste et pensée confucianiste. Par exemple, l’antagonisme entre Li Bo, le taoïste, et Du Fu, le confucianiste, est aussi connu que les différences entre Racine et Corneille. Il y a également l’opposition entre roman et théâtre en langue parlée et littérature en langue classique.

Vous écrivez que, à la fin du xixe siècle, ce sont les journalistes qui ont inauguré, par leurs romans sociaux, la littérature moderne.

En effet, des journalistes de Shanghai en contact avec des Occidentaux ont, les premiers, publié des romans sociaux, sur les défauts de leur époque, et non plus des romans de distraction, comme il était de tradition d’en écrire, enquêtes de juges ou histoires d’amour romantiques. Aucun, malheureusement, n’a été traduit.

Quelle est, aujourd’hui, l’influence de la littérature chinoise classique sur la littérature moderne en Chine et à Taïwan ?

Les littératures occidentales, française et anglo-saxonne, ont sans doute plus d’influence sur les écrivains chinois modernes, à Taïwan comme en Chine populaire, que la littérature chinoise classique. Mais celle-ci reste une référence importante pour la littérature populaire actuelle.

Quelques classiques et quelques modernes à conseiller au lecteur du Vif/L’Express ?

Pour la littérature classique, Au bord de l’eau (Folio) et Six Récits d’une vie flottante (Gallimard). Je suis gêné d’en signaler trois autresà dont je suis le traducteur : Sur moi-même, de Su Dongpo, Propos et anecdoctes sur la vie selon le tao et les biographies de Sima Qian (Picquier Poche). Pour la littérature moderne, l’excellente anthologie de Martine Valette Hémery (Picquier), les romans de Lao She (Folio), notamment Gens de Pékin, ou Garçons de cristal, de Bai Xianyong (Picquier Poche).

Vos prochains travaux : toujours la Chine ?

Je caresse l’idée de m’intéresser aux contes chinois : je suis vieux ; il est temps de retomber en enfance.

Anthologie de la littérature chinoise classique, par Jacques Pimpaneau. Philippe Picquier, 960 p.

Entretien : Michel Grisolia

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