» Pékin doit discuter avec le dalaï-lama « 

Auteur d’une pétition sur Internet, l’écrivain dissident chinois Liu Xiaobo explique pourquoi le régime est mis en échec au Tibet.

Le 22 mars, une pétition signée par une trentaine d’intellectuels chinois était diffusée sur Internet. Dans ce texte au ton très modéré, les signataires détaillaient 12 propositions pour une résolution pacifique de la crise tibétaine. Liu Xiaobo, un écrivain pékinois, ancienne figure du mouvement de la place Tiananmen, en 1989, est l’une des deux personnalités à l’origine de ce texte, dont l’accès est aujourd’hui bloqué en Chine.

D’où vient cette animosité entre Chinois Han et Tibétains ?

E Les contradictions entre Chinois et Tibétains ne sont pas le fait des peuples, mais résultent de la politique du gouvernement central, qui ne donne pas d’autonomie au Tibet. La propagande dépeint le dalaï-lama sous les traits d’un séparatiste. Le gouvernement chinois prétend que le dalaï-lama est un loup recouvert d’une peau de mouton. Cette expression avait déjà été utilisée en 1989, elle ressert aujourd’hui. Le dalaï-lama est diabolisé, alors qu’il n’a jamais réclamé l’indépendance du Tibet.

En 1989 déjà, des émeutes avaient été réprimées à Lhassa. Le scénario est-il très différent cette fois-ci ?

E La répression avait été bien plus dure en 1989. La Chine a aujourd’hui des liens économiques intimes avec le monde extérieur ; elle veut devenir un grand pays, reconnu comme tel à l’étranger. Le gouvernement sait à quel point les événements de 1989 ont nui à son image internationale. Et puis, il y a l’influence des Jeux olympiques. Mais le degré de propagande dans les médias chinois est sans précédent. Les autorités affirment que le dalaï-lama a organisé et manipulé les événements, mais elles n’en donnent aucune preuve. C’est la méthode traditionnelle du pouvoir central : face à des conflits sérieux, il faut trouver un bouc émissaire, une  » main noire « . Dans les périodes d’accalmie, on peut finir par penser que le gouvernement a changé. Mais, dès que surviennent des événements tels que ceux de 1989 ou ceux du Tibet aujourd’hui, on se rend alors compte que la nature du Parti communiste reste la même.

Vous dénoncez dans votre pétition l’échec de la politique ethnique du gouvernement. Quelles sont selon vous les raisons de cet échec ?

E Pour ce qui concerne la politique, les problèmes viennent de la limitation du droit à l’autonomie du Tibet. C’est le secrétaire général du Parti de la région, un Han, qui a le dernier mot sur tout. Les autres fonctionnaires ne sont là que pour les apparences. Les photos du dalaï-lama sont interdites, les moines sont parfois obligés de le critiquer au cours de réunions. L’impossibilité pour le dalaï et le panchen-lama de vivre au Tibet participe également de la répression dont souffrent les Tibétains.

L’autre point est la tentative d’acheter le Tibet par le biais du développement économique. Le gouvernement chinois représente le pouvoir des Han et de l’athéisme. Il pense qu’en donnant suffisamment d’argent, en permettant l’enrichissement matériel, les Tibétains s’éloigneront du dalaï-lama. Le niveau de vie des Tibétains s’est amélioré, et un peuple non religieux, comme les Han, en aurait sûrement été satisfait. Mais cela ne marche pas avec les Tibétains. On ne peut pas acheter un peuple religieux. Le Parti communiste est incapable de comprendre le sens des valeurs des Tibétains. Il était inévitable que la politique du gouvernement échoue au Tibet.

Pensez-vous que l’agitation va continuer et pourrait se propager à d’autres régions ?

E Tôt ou tard, si le pouvoir ne change pas sa politique, il y aura des problèmes dans d’autres régions où cohabitent des minorités. C’est pour cela que je suis d’accord avec le dalaï-lama, qui s’oppose à la fois à la répression du gouvernement et aux émeutes. Le gouvernement central doit s’asseoir avec le dalaï-lama et discuter. l

par Séverine Bardon

Propos recueillis par Severine Bardon

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