Peintures et mélancolies

Couleur du temps, par Françoise Chandernagor. Gallimard, 156 p.

Dans Couleur du temps, Françoise Chandernagor invente l’existence d’un peintre, V***. Usant de sa pleine liberté d’auteur, elle le fait naître à la fin du siècle de Louis XIV et le jette dans les aventures artistiques de son temps. V*** est un tempérament conventionnel et un artisan scrupuleux auquel le bonheur ne sourit jamais longtemps. Si sa palette est féconde, la vraie réussite lui manque. Ses efforts ne sont pas récompensés. Ses progrès non plus. Malgré Oudry et Chardin, qui lui apportent la consolation de leur amitié, la vie le déborde et le cuit à l’étouffée. L’une des grandes affaires dans la carrière de V*** est un tableau où il entend représenter sa famille. Les naissances et les morts bousculent les pinceaux du créateur. Couleur du temps est l’histoire de ce tableau qui semble ne jamais devoir être achevé.

Françoise Chandernagor fait entrer le jaune couleur de lune dans la littérature. Elle convie le lecteur dans les ateliers, les soucis et les querelles du xviiie. Le vieux roi vient de mourir, un monde bascule, une femme joue du clavecin, des enfants se consument, les princes ne paient pas ou trop tard. Il y a de jolies sultanes, des dîners de volailles et de pâtés, arrosés de vins divers et même de champagne. Et des conversations où l’on débat des thèses de Diderot, qui veut faire exister la morale dans l’art. L’ensemble forme un court récit sur le temps qui passe, le désenchantement et la féerie de l’art, admirablement composé.

La fluidité du texte n’empêche pas les questions fatales. Couleur du temps est aussi une fable sur la création. Que signifient les lauriers qu’une société pose (ou non) sur le front d’un peintre ou d’un poète ? Le talent n’est-il pas souvent invisible à son époque, comme le pensait Cocteau ? Comment voir le vrai à travers le brouillard des vanités ? Qu’est-ce qu’un grand maître ? Et un petit ? Cette interrogation court à travers tout le récit. Françoise Chandernagor rappelle que Vermeer fut considéré comme un peintre négligeable pendant trois siècles. Seul le chant secret du temps lave le jugement des hommes des poisons de l’instant.

Le livre se termine par le portrait d’un vieillard. V*** ne peint plus, la toile de son tableau de famille est roulée sous son lit. Sa passion des couleurs l’a quitté, et avec elle, c’est sa propre existence qui s’est éloignée. Le peintre s’est réfugié dans les mots. Les contes et les romans lui tiennent lieu d’univers. Ce transfert traduit une destinée en miroir. Et une ultime méditation sur l’illusion de la peinture (comme de toutes choses), cette vanité particulière dont avait parlé Pascal. l

Daniel Rondeau

Françoise Chandernagor convie le lecteur dans les ateliers du xviiiesiècle. Un récit sur le temps qui passe, le désenchantement et la féerie de l’art

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