Pédagogie et tarte à la crème

Des esprits éclairés sont partis de la constatation suivante, qui fait partie de la doxa des enseignants: plus on s’élève dans le cursus scolaire, plus faible est la formation pédagogique des maîtres. A l’université, elle est nulle, tant pour les assistants que pour les professeurs. Ce fut jusqu’à présent le cas des hautes écoles, mais Mme Dupuis, avec son Capaes, va remédier à cette anomalie.

Deuxième constatation: le taux d’échec en première année à l’université en Communauté dite française est très élevé, de l’ordre de 60%, sauf dans des filières comme les sciences appliquées, où existe un examen d’entrée et où il est moitié moindre. Mais parler d’un examen d’entrée à l’université, voire seulement d’un test d’orientation, éventuellement non obligatoire, est aussi déplacé sur les campus que de s’interroger à Place Royale sur la virginité d’une princesse au moment de son mariage. On touche là à l’un des points les plus sensibles de l’idéologie égalitariste contemporaine, et tant pis pour la surcharge des enseignants de première année, pour l’argent consacré par les universités, au détriment de la recherche, en tutorats et autres remédiations, pour les rancoeurs et ressentiments engrangés par les étudiants recalés. Il paraît que c’est dans l’idée même de cette épreuve, dans un pays où n’existe pas de diplôme national (en l’occurrence, « communautaire ») de sortie de secondaire, à l’instar du bac français, que se condense tout ce que le néolibéralisme renferme de plus pernicieux.

Mais revenons à nos deux constatations, pour dévoiler leur synthèse: afin de réduire l’échec en première année, imposons une formation pédagogique à ceux qui y enseignent, c’est-à-dire à tous les enseignants qui officient à l’université, la première n’étant pas (encore) considérée comme un niveau d’enseignement à part entière. En attendant que « Bruxelles » mette de l’ordre dans tout cela, faisons comme si la proposition de synthèse devait être prise au sérieux. Or celle-ci ne le mérite peut-être pas. Outre que le recours au terme « pédagogie » dans lequel figure la racine paidos (enfant) ne semble pas judicieux pour désigner des modes d’argumentation destinés à de jeunes adultes (du moins biologiquement parlant), il n’est pas certain qu’il se trouve parmi les pédagogues patentés des inventeurs de trucs et ficelles applicables à ce genre de population là. Et l’on ne voit pas en outre les raisons pour lesquelles des enseignants chevronnés, du reste chercheurs confirmés et capables, selon la vocation des universités, de transférer les résultats de leurs recherches dans leurs enseignements accepteraient de se rallier à des trucs et ficelles, s’il arrivait qu’il en existât, élaborés par des collègues dont rien n’indique qu’ils soient plus compétents qu’eux dans ce domaine.

A quoi, du reste, pourraient servir de tels trucs et ficelles, éventuellement liftés en concepts pseudo-scientifiques, lorsqu’on se retrouve, massification aidant, dans un amphi mal insonorisé, face à un millier de têtes blondes, dont une majorité n’a pas été équipée pour comprendre vos propos? Les béquilles pédagogiques sont alors d’un faible secours. Il vaudrait mieux se rappeler qu’à ce niveau être un « bon » enseignant repose sur trois qualités fondamentales, à savoir:

– Bien connaître sa matière, la dominer intellectuellement (les mots à dire) et communicationnellement (les mots pour le dire);

– Savoir se servir avec talent et persuasion de la langue de l’enseignement: enseigner, c’est à la fois séduire par le verbe et être bon(ne) comédien(ne): si des trucs et ficelles sont nécessaires, ceux de la scène seraient sans doute mieux indiqués;

– Aimer son métier et le pratiquer avec coeur, ce qui ne s’apprend évidemment pas et suppose par surcroît qu’on a, dans certaines circonstances, le coeur bien accroché, les « sauvageons » ne se trouvant pas que dans de lointaines banlieues.

Tout le reste est orviétan. Il serait plus raisonnable de donner aux universités et aux hautes écoles les moyens de réduire la taille des auditoires, de recruter les enseignants les plus compétents et les plus motivés, et de les payer correctement dès l’entrée dans la carrière. Ceci vaut aux demeurant pour tous les enseignants de tous les niveaux. Le discours sur la pédagogie universitaire restera une tarte à la crème tant qu’une évaluation globale des exigences et des contraintes de la profession n’aura pas été réalisée. Car, si la manière d’enseigner n’est pas moins importante que la matière à enseigner, c’est aussi sur une connaissance correcte des compétences des auditoires que repose l’efficacité de la transmission des savoirs. Tant qu’un contrôle standardisé de ces compétences n’aura pas été institué, on restera bien, en effet, dans le monde imaginaire des trucs et ficelles.

par Claude Javeau , professeur de sociologie (ULB)

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