Pays-Bas Le croisé et le Prophète

Le député Geert Wilders va sortir un film à charge contre le Coran. Objectif déclaré : souligner les tensions entre l’islam et le modèle néerlandais. Le gouvernement craint de dangereuses répercussions.

C’est le film dont tous les Néerlandais parlent sans qu’aucun l’ait vu. Existe-t-il au moins ? A en croire la rumeur – invérifiable – sa durée n’excéderait pas quinze minutes, le prophète Mahomet y apparaîtrait sous la forme d’un personnage de dessin animé et tout le court-métrage serait une diatribe contre le Coran, le livre saint de 1 milliard de musulmans.

A ce jour, deux certitudes seulement. Le titre du film, Fitna (voir l’encadré). Et l’identité du producteur, le député Geert Wilders, créateur du Parti de la liberté (PVV). A 44 ans, visage poupin et casque de cheveux blond platine, le parlementaire s’est déjà taillé une réputation durable de fauteur de troubles. Incontrôlable, même au regard des us parlementaires en vigueur à La Haye, il a quitté le Parti libéral en 2004 pour suivre sa propre voie. Avec un engagement clair : mener un  » djihad libéral  » contre  » cette branche fasciste de l’islam qui s’attaque, aujourd’hui, à l’Occident « . Menacé de mort par l’assassin islamiste du cinéaste Theo van Gogh (égorgé le 2 novembre 2004), faisant l’objet d’une étroite protection policière depuis lors, Wilders s’est autoproclamé champion des gens ordinaires, dégoûtés, à l’en croire, par la passivité des élites de La Haye face à l' » islamisation des Pays-Bas « .

En quatre ans, son discours s’est radicalisé. L’ennemi n’est plus seulement le terrorisme fondamentaliste mais l’islam tout court. Wilders demande l’interdiction du Coran, un  » livre fasciste  » comparé par lui au Mein Kampf de Hitler. Il veut la fin de toute immigration en provenance des pays d’islam, une aide pour encourager le départ de ceux qui sont déjà là – les musulmans représenteraient 5 % de la population du royaume – le retrait de la nationalité néerlandaise aux  » criminels  » musulmans et leur expulsion. Autant de mesures nécessaires, plaide-t-il, si l’on veut défendre les conquêtes libérales, des droits de la femme à la reconnaissance de l’homosexualité, en butte à cette  » culture attardée qu’est l’islam « . Avec son film (qui pourrait être mis en ligne sur Internet dans les prochains jours), Wilders, fidèle à une longue tradition libertaire, entend monter d’un cran dans cette stratégie de la provocation qu’il juge cathartique afin de mettre au jour les tensions latentes.

Car le modèle multiculturel, longtemps à l’honneur dans le royaume, se fissure. Quelles limites poser quand des droits aussi fondamentaux que la liberté d’expression et l’égalité des sexes entrent en collision avec le droit à pratiquer sa foi comme on l’entend ? La question ouvre de nouveaux clivages. Le maire d’Amsterdam, le social-démocrate (PvdA) Job Cohen, s’est ainsi récemment opposé au chef du parti, Wouter Bos, lequel jugeait inacceptable que des assistants sociaux refusent, pour des motifs religieux, de serrer la main de femmes dans l’exercice de leurs fonctions. Les municipalités s’interrogent afin de savoir si elles doivent ou non autoriser le port du burqini, un maillot de bain féminin  » islamiquement correct  » dans les piscines publiques. Plus anecdotique mais aussi choquante pour de nombreux Néerlandais, la décision de la banque Fortis de ne plus offrir aux enfants la traditionnelle tirelire en forme de cochon – un animal impur pour les musulmans. La peur de l’islam produit des effets surprenants. Elle expliquerait, selon ses organisateurs, l’affluence inattendue à un récent Salon de l’émigration.

De ces chocs des cultures au quotidien la formation de Wilders fait son miel. Vice-présidente du PVV, la députée Fleur Agema pointe ainsi les musulmanes qui refusent d’être traitées par des médecins ou lavées par des infirmiers masculins, des musulmans hospitalisés qui exigent une nourriture halal, des soignants à domicile qui doivent se faire accompagner d’un interprète parce que leur patient ne maîtrise que le turc ou l’arabe. Les patients islamiques ont désormais priorité sur les autochtones, estime la parlementaire. Qui plus est, dénonce-t-elle, aux frais de l’Etat.

L’Etat, justement, ne cache pas son embarras. Le Parlement a esquivé le débat. Une cinquantaine de demandes de poursuites ont déjà été déposées à l’encontre de Wilders pour provocation à la haine religieuse – sans effet, pour l’heure. Les juristes hésitent. Aucun parti politique n’a osé demander l’interdiction préalable du film – ce serait attenter à la Constitution. Mais les chaînes de télévision, contactées, n’ont pas voulu s’engager à diffuser Fitna sans y rien modifier, comme Wilders le réclamait. Le 29 février, le Premier ministre, Jan Peter Balkenende, exhortait ce dernier à la  » responsabilité « . Des ambassades prises d’assaut par la rue arabe, une recrudescence du terrorisme, un boycott des produits néerlandais : autant de risques qui glacent les autorités. D’autant que des soldats néerlandais sont actuellement en mission en Afghanistan, un engagement impopulaire qui, en outre, fait d’eux des cibles de choix. Le 5 mars, après avoir convoqué les ambassadeurs des Etats membres de l’Organisation de la conférence islamique, le ministre néerlandais des Affaires étrangères déclarait que  » l’opinion de M. Wilders sur l’islam n’est en aucun cas celle du gouvernement. […] On ne gagne rien à rendre une religion responsable de la violence et de l’oppression. Ce sont les individus, non les religions, qui sont responsables. « 

Cette retenue exaspère Wilders, qui se pose déjà en victime.  » En divulguant mes projets cinématographiques, Balkenende a créé une prophétie auto-réalisatrice, accuse-t-il. Il a fait en sorte que, de Tombouctou à l’Afghanistan, tout le monde sache que ce film va sortir. Balkenende cède aux taliban. « 

Il est un soutien, pourtant, sur lequel Wilders peut compter. Celui du Danois Kurt Westergaard, qui, dans un entretien au quotidien Volkskrant, a déclaré :  » Wilders doit diffuser son film. Au Danemark, nous critiquons tout : la reine, les politiques, la religion. Il y a dix ans, j’ai été accusé de blasphème pour avoir représenté Jésus descendant de la croix en costume Armani. Mais je n’ai pas été menacé. Lancer le débat est une des tâches d’un journal, et donc aussi d’un caricaturiste. Les musulmans doivent accepter cela.  » Westergaard est un des auteurs des caricatures de Mahomet, parues à l’automne 2005, qui avaient déclenché des manifestations de violence dans le monde musulman. l

Jean-Michel Demetz

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