Paul Furlan, nouveau gardien du temple

En exclusivité pour Le Vif/L’Express, le ministre dévoile sa réforme de l’organisation et du financement des lieux de culte en Wallonie. Les autorités des six religions reconnues ont un mois pour réagir. Attention terrain miné.

Paul Furlan a fait du  » temporel des cultes  » le dossier majeur de sa législature. Après trois années de gestation, sa réforme est entrée dans sa phase finale. Le ministre wallon des Pouvoirs locaux (PS) a rencontré en janvier les quatre évêques wallons, ainsi que les représentants musulmans, protestants, juifs, orthodoxes et anglicans, pour leur proposer une ébauche de plan.  » Afin de dissiper leurs craintes, je leur ai tout de suite précisé que je ne m’occupais pas des cultes en tant que tels, qui sont du ressort du fédéral, raconte-t-il. Mon job, c’est financer les bâtiments. C’est moi qui allume les cierges. Je suis un peu le super concierge des églises.  » Sont concernées : près de 1 900 fabriques d’église, mais aussi 64 communautés protestantes, 39 mosquées, 6 établissements de culte orthodoxes, 4 israélites et 2 anglicans.

 » A quatorze mois des élections, il y a un risque d’instrumentalisation du dossier, craint Paul Furlan. On ne vit pas comme en France dans une république où la laïcité est consacrée et où les opinions philosophiques sont en marge de la société. En Belgique, les religions sont dans la société. Y toucher, c’est réanimer certaines craintes : demain, va-t-on s’attaquer aux bassins scolaires ?  » A cette angoisse du monde catholique, vient s’ajouter une méfiance latente vis-à-vis de l’islam.  » Je sens parfois des relents de xénophobie. Comme si on me soupçonnait de banaliser la présence musulmane en Wallonie « , expose Paul Furlan.

 » Je crois avoir trouvé la manière de m’en sortir, confie néanmoins le ministre. Au lieu de couler sa réforme dans un décret, il propose une expérience-pilote, ouverte à toutes les communes, provinces et communautés religieuses, sur base volontaire. La réforme sera évaluée dans les deux ou trois ans, pour ensuite être traduite dans un texte législatif.  » Je suis à peu près sûr que mon texte est le bon, mais pour créer de la confiance, je ne pouvais pas dire : voilà le décret, ce sera comme ça et pas autrement. Faire ça, c’était réanimer une guerre de religion.  »

Les sept piliers du plan

En fait de réforme, c’est une petite révolution que s’apprêtent à vivre les lieux de culte wallons. Pour l’heure, leur financement et leur organisation restent régis par un texte datant de l’époque où nos régions appartenaient à l’Empire napoléonien : le décret du 30 décembre 1809. Après l’indépendance de la Belgique, ce dispositif a été toiletté en 1870. Puis, plus rien.  » Depuis que la Région wallonne existe, les Déclarations de politique régionale (DPR) ont mentionné la nécessité de rédiger un nouveau décret, mais les ministres successifs se sont tous cassés la figure « , commente Paul Furlan, le ministre des Pouvoirs locaux. Qui entend réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Les autorités religieuses disposent maintenant d’un mois pour formuler leurs remarques. Au mois de mai, Paul Furlan soumettra son plan au gouvernement wallon. En voici les principaux axes.

1. Un contrat de gestion

C’est le coeur de la réforme : la contractualisation des relations entre le pouvoir subsidiant et la communauté religieuse. Pour l’instant, les fabriques d’église (qui représentent plus de 95 % des établissements de culte en Wallonie) établissent un budget, et si les dépenses sont supérieures aux recettes, les communes n’ont d’autre choix que de payer pour couvrir le déficit. Ce qui ne va pas sans frictions.  » Les communes râlent. Les fabriques se disputent entre elles « , résume Paul Furlan. Pour pacifier les relations entre les uns et les autres, le socialiste veut les inciter à rédiger ensemble une convention, ou un contrat de gestion, garantissant pour chacun des droits et des devoirs.

Le contrat de gestion devra, entre autres, fixer une trajectoire budgétaire pluriannuelle, régler les modalités de logement des ministres du culte (leur verser une indemnité de loyer ou leur fournir une maison ?), définir les réparations à réaliser aux édifices, établir les conditions de mise à disposition du lieu de culte pour l’organisation d’événements culturels, etc.

2. Des priorités fixées à moyen terme

Paul Furlan veut que la relation entre les deux parties s’établisse sur une base pluriannuelle.  » Au lieu de demander chaque année des sous, on négocie au début de la législature pour les six ans à venir. Le bourgmestre et les représentants de la paroisse font ensemble le tour des besoins.  »

3. Un espace de dialogue permanent

 » Aujourd’hui, le système institutionnalise la mésentente « , constate Paul Furlan. La réforme prévoit de systématiser la concertation entre le pouvoir subsidiant et les représentants du culte.  » Si vous avez dans une commune un Peppone et un Don Camillo, cela provoquera toujours des étincelles. Mais, en cas de litige, l’autorité du ministre et de l’évêque pourront trancher.  »

4. Une bonne gouvernance

La réforme doit favoriser une meilleure utilisation des deniers publics.  » La plupart des responsables de fabriques d’église sont des bénévoles, pas toujours formés. Ils gèrent souvent au mieux, sans que ça pose de problème majeur. Mais on ne retrouve pas le professionnalisme attendu par la société d’aujourd’hui.  » Théoriquement, les fabriques d’église sont tenues d’ouvrir une procédure de marché public pour la totalité de leurs dépenses : achat de mazout, travaux de peinture, réfection des installations d’électricité, et même l’achat des cierges !  » On ne peut pas téléphoner au livreur du coin, même si c’est le moins cher « , insiste Paul Furlan. Le nouveau cadre veillera à un meilleur respect des règles.

5. Une rationalisation

La Wallonie compte plus de 1 900 églises. Entretenir ce patrimoine coûte cher aux pouvoirs publics, alors qu’il y a de moins en moins de fidèles (moins de 7 % des Wallons sont pratiquants). Autre difficulté : une concurrence oppose souvent les fabriques d’église au sein d’une même commune, le bourgmestre devant arbitrer entre les unes et les autres, afin de déterminer les travaux les plus urgents.  » Le monde ecclésiastique lui-même est demandeur d’une forme de rationalisation « , indique Paul Furlan. Celui-ci veut réduire le nombre de fabriques d’église. Sans rien imposer.  » J’ai longtemps hésité, confie-t-il. L’idéal serait-il une seule fabrique d’église par commune ? Eh bien, pas forcément. A Tournai, on recense 39 fabriques d’église. Un conseil de fabrique unique, ce serait un véritable parlement. On doit donc décider au plan local comment rationaliser. Dans ma commune, Thuin, on se dirige vers la fusion des 9 fabriques en une seule.  »

6. La transparence favorisée

Particularité du culte islamique : la plupart des mosquées ne sont pas des bâtiments publics. Elles appartiennent le plus souvent à des ASBL.  » Les pouvoirs publics ne vont pas financer un bien privé qui, demain, peut être vendu pour faire une opération immobilière « , indique Paul Furlan. Cela nourrit un sentiment d’injustice chez les musulmans, qui s’estiment parfois discriminés par rapport aux catholiques. Seules 39 mosquées sont reconnues par la Région wallonne. Les autres ne peuvent prétendre à aucune aide des pouvoirs publics pour l’entretien de leurs bâtiments.  » Dans le cas de certaines mosquées, on n’est pas certain de l’origine des fonds, et quand on n’est pas certain de l’origine des fonds, on n’est pas certain de ce qui se dit à l’intérieur. Moi, je pense qu’on a intérêt à fixer un cadre, en disant aux représentants des mosquées : vous voulez un financement public ? Pas de souci, on peut le faire, mais en contrepartie, on veut la transparence.  »

7. Peu d’économies

En Wallonie, le  » temporel du culte  » coûte en moyenne 24 euros par an et par habitant.  » On ne fera pas d’économies, prévient d’emblée le ministre. En revanche, on utilisera mieux l’argent. Les communes et les fabriques d’église fixeront ensemble des priorités. S’il y a cinq églises dans une commune, on peut décider d’en rénover trois, d’en vendre une et de transformer la dernière en centre culturel. Pour le même prix, les citoyens auront un patrimoine mieux entretenu.  »

FRANÇOIS BRABANT

 » En Belgique, les religions ne sont pas en marge, elles sont dans la société. Y toucher, c’est réanimer certaines craintes  »

 » A quatorze mois des élections, il y a un risque d’instrumentalisation du dossier  »

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