Pas grand-chose à voir avec James Bond

L’entrée dans un service secret est soumise à un filtrage sévère mais, une fois dans la place, on se laisse vite gagner par le goût de la chasse à l’info rare

Sa licence en poche, Charlotte (prénom d’emprunt) se prépare à intégrer la Sûreté de l’Etat.  » Je suis attirée par la manière de travailler, non par l’univers du secret, confie-t-elle. Personnellement, je me verrais bien en analyste. Cela correspond à ma formation et à ma personnalité. Mais je ne demande qu’à découvrir cet univers. Comme d’autres, je pourrais passer les deux examens : le Selor (Fonction publique) pour devenir analyste et l’examen de recrutement propre à la Sûreté de l’Etat pour travailler dans ses services extérieurs.  » Et de poursuivre :  » Ma seule crainte, minime, par rapport à ce milieu-là, c’est de voir se rétrécir mon cercle d’amis parce que je devrai éluder certaines questions. La politique m’intéresse, mais ce n’est pas ma motivation principale. Les attentats terroristes n’entrent pas en ligne de compte. J’ai envie de travailler sur des sujets qui permettent de mieux gérer la société.  »

Charlotte n’est pas un oiseau rare. Des milliers de candidats se présentent, à chaque recrutement, pour faire partie du cercle rare de nos agents secrets. Les bureaux du North Gate, près de la gare du Nord, à Bruxelles, sont d’ailleurs peuplés de créatures bien diplômées, jeunes et ouvertes : les analystes. Une espèce recherchée par les polices, les bureaux de consultance ou les grandes entreprises pour leur capacité à dénicher les informations utiles, y appliquer la critique des sources et en faire des synthèses pertinentes. Mais sans hommes et femmes de terrain – les services dits extérieurs à la Sûreté de l’Etat -, pas d’informations sur les individus et les groupements suspects, pas de surveillance, pas d' » ordre de bataille « … Tous les services de renseignement fonctionnent sur la base d’un rapport dialectique entre la collecte et l’analyse des informations.

E La collecte. Les inspecteurs et commissaires recueillent des informations auprès de membres du public, de gouvernements étrangers (comme les analystes) et de sources humaines (les informateurs, occasionnels ou pas, rémunérés ou pas), mais aussi par l’interception technique des télécommunications et des sources  » ouvertes  » : journaux, périodiques, revues spécialisées, émissions de radio et de télévision diffusées au pays ou à l’étranger, documents officiels et, bien sûr, Internet. Une bonne partie des informations qui entrent dans le travail de renseignement proviennent de sources ouvertes. Néanmoins, la richesse d’un service repose sur la diversité et la fiabilité de ses  » sources  » humaines. A chaque contact d’un officier traitant avec sa source correspond un rapport. En 2005, la Sûreté de l’Etat en a produit 9 000.

Les inspecteurs ne vont pas à la pêche. Avec leur hiérarchie, ils se fixent des objectifs ou reçoivent des apostilles des services d’étude. Un préalable : l' » ordre de bataille  » (ODB dans le jargon maison) doit être à jour. Exemple : l’organigramme des fonctions réelles dans une ambassade en vue d’identifier la  » résidence « , c’est-à-dire l’agent des services de renseignement (celui-ci peut n’être qu’une couverture officielle pour un espion encore plus clandestin). Les informations vont être collectées sur le site de l’ambassade, aux Affaires étrangères, à l’Office des étrangers (pour les accompagnants du personnel diplomatique), dans les polices locales, au service d’immatriculation des véhicules, etc. Des filatures vont être organisées pour vérifier que les personnes sont bien celles qu’elles disent être. Des  » postes d’observation  » (caméras) sont dirigées vers la cible. Lorsque l' » ordre de bataille  » est nickel, alors seulement peuvent commencer les travaux d’approche d’un membre de l’ambassade, soit pour savoir ce que les espions d’en face recherchent, soit – si l’on connaît son point faible – en obtenir soi-même des informations.

Les motivations des  » sources  » sont rarement exclusivement financières (même si certains informateurs bien placés sont mensualisés) : y entrent aussi un goût du renseignement, un désir de vengeance, parfois le souci de rendre service à l’Etat en matière de sécurité. Les services qui se livrent à de l’espionnage en dehors de leur territoire sont appelés offensifs. Ce n’est pas le cas de la Sûreté de l’Etat : celle-ci compte, pour cela, sur ses homologues étrangers. En revanche, elle a bien pour mission d’empêcher que des services offensifs se livrent à du travail de renseignement sur son territoire (Chine, Russie, Iran…). Certains services  » amis  » espionnent également, mais soit ils le font discrètement, soit on n’a pas les moyens de les en empêcher, soit ils demandent poliment la permission. A charge de revanche.

La question est de savoir si la Sûreté de l’Etat, pour préserver les intérêts à long terme de la Belgique, ne devrait pas se réinvestir dans l’Afrique centrale, voire les pays d’où vient principalement son immigration. Elle (re)deviendrait ainsi un service défensif avancé.

E L’analyse. A la Sûreté de l’Etat, les analystes ont recours à leur connaissance des questions régionales, nationales et mondiales pour évaluer la qualité de l’information recueillie par les services extérieurs et les correspondants étrangers. Chaque matin, les rapports des inspecteurs remontent vers le directeur des opérations (leur responsable hiérarchique), vers l’administrateur général et vers le directeur des services d’étude (nommés  » services administratifs  » par les services extérieurs). Celui-ci les redistribue en fonction des spécialités de ses analystes, regroupés par zones géographiques ou thématiques. Ces derniers effectuent un travail de relecture critique, mettent en perspective, confrontent à d’autres sources, notamment ouvertes, appellent leurs correspondants à l’étranger, demandent éventuellement par apostille des précisions ou des renseignements supplémentaires aux inspecteurs de terrain.

Les analystes sont, toutes proportions gardées, dans la position d’un magistrat par rapport aux services de police. Ils sont les auteurs des  » notes  » qui vont permettre aux décideurs de prendre des décisions en principe éclairées. La difficulté de ce travail est d’en dire assez, et de façon nette, sans mettre en péril leur sources de renseignement. Pour cela, ils doivent avoir, pour destinataires, des hommes et des femmes qui soient suffisamment au courant des usages et des langages d’un service de renseignement pour faire leur miel d’une information exclusive et qui peut toucher aux droits fondamentaux des citoyens (protection de sa vie privée), hors contexte judiciaire. La confiance doit être réciproque. Si les services secrets ont l’impression que leurs informations vont être instrumentalisées politiquement, ou rejetées pour des raisons politiques, ils vont en dire le moins possible. La fonction d’analyste, longtemps réduite à la portion congrue à la Sûreté de l’Etat, a été revalorisée. Après les attentats de Londres, en juillet 2005, Laurette Onkelinx (PS) a obtenu des moyens pour engager 80 nouveaux analystes.

E La protection. Le service de protection rapprochée des personnalités belges et étrangères (VIP) n’est pas, en soi, une activité de renseignement, mais de sécurité. Néanmoins, elle est logée à la Sûreté de l’Etat. l

Marie-Cécile Royen

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