Pas de place pour les mineurs

Un an après leur manifestation spectaculaire, les magistrats de la jeunesse en ont toujours ras le bol : il manque des places dans toutes les institutions. Nous avons obtenu les chiffres précis du parquet et des juges de la jeunesse de Bruxelles.

Le coup de gueule de la substitute du parquet jeunesse de Bruxelles, le dimanche 27 avril, n’avait rien de sanguin. Ce n’est pas une impulsion personnelle qui a poussé Carine Anthonissen à dénoncer, devant les caméras, le manque de places en institutions pour jeunes. La substitute a juste exprimé ce que le procureur du roi de Bruxelles, Bruno Bulthé, et le président du tribunal de la jeunesse, Jacques Boucquey, de garde ce week-end-là, l’ont vivement encouragée à dire.

 » Je ne pouvais le faire moi-même, à cause de mon devoir de réserve, confie le juge Boucquey. Mais il faut reconnaître que la situation nous a, une fois de plus, échappé. Sur les 15 jeunes qui m’ont été présentés durant le week-end, je devais absolument en placer dix : huit en milieu ouvert, deux en milieu fermé. Il n’y avait qu’une seule place de libre dans une IPPJ (NDLR : institution publique de protection de la jeunesse) en section ouverte ! Or j’étais confronté à des cas graves, dont plusieurs sac-jackings violents ( NDLR : vols de sacs dans une voiture). J’ai dû libérer leurs auteurs, parmi lesquels des récidivistes. Comment voulez-vous, dans ce contexte, qu’un juge assoie son autorité face à des délinquants ?  »

Contrairement à ce qu’a suggéré Catherine Fonck (CDH), ministre de l’Aide à la jeunesse en Communauté française, il ne s’agissait pas d’un pic exceptionnel de criminalité ces jours-là. Les chiffres du parquet, que nous avons consultés ( lire l’encadré ci-dessous), démontrent qu’en moyenne une quinzaine de jeunes sont interpellés par la police et emmenés au parquet chaque week-end. Un coup de sonde auprès de huit juges de la jeunesse bruxellois nous permet d’affirmer que la majorité des cas nécessitent un placement en institution, ouverte ou fermée. Mais il y a un manque cruel de places partout.

Voici le constat de ces juges. Dans les centres d’accueil d’urgence, où sont envoyés des mineurs en danger, 9 demandes sur 10 se voient refuser par manque de place. Dans les IPPJ en milieu ouvert, il manque généralement de 5 à 10 places, le week-end, dans les sections accueil (placement de quinze jours, souvent choisi pour les primo-délinquants), et de 30 à 50 places, en permanence, dans les sections éducation (placement de trois à six mois, pour les récidivistes ou ceux dont la famille est défaillante). Les IPPJ en milieu fermé sont plutôt préconisées pour les multirécidivistes et les faits particulièrement graves (viols, violences…). Selon les juges interrogés, cela fait des mois que les sections fermées  » ne prennent plus personne « . Enfin, au centre fédéral d’Everberg, plus aucune place n’est libre depuis cinq mois.

Début mai, la ministre Fonck, qui – à sa décharge – dispose de peu de moyens financiers puisqu’elle travaille avec une enveloppe fermée, a réagi en promettant 10 places supplémentaires dans les IPPJ. Le ministre de la Justice Jo Vandeurzen (CD&V), lui, va rouvrir l’ancienne prison de Tongres et aménager une aile de la prison de Saint-Hubert. Comme le rappelle le délégué général aux droits de l’enfant Bernard De Vos, le nombre de places en centre fermé pour mineurs délinquants a explosé ces six dernières années, augmentant de 300 % ! Faut-il encore en rajouter ?  » Nous ne voulons pas plus de répression ni plus de lits en milieu fermé, déclare Eric Janssens, président de l’Union francophone des magistrats de la jeunesse. Ce que nous demandons, et pas seulement à Bruxelles, c’est davantage de cohérence. « 

En effet, toute la panoplie des réponses judiciaires à la délinquance est insuffisante. Le problème des places en milieu ouvert est aussi préoccupant que la saturation des centres fermés. Même chose pour les mesures alternatives à un placement, comme les prestations d’intérêt général ou les suivis intensifs en milieu familial par un éducateur. Les services compétents sont débordés. Résultat : souvent, les jeunes qui ne sont pas encadrés récidivent et progressent dans la délinquance, avec d’inévitables répercussions sur les placements à la clé. Un cercle vicieux. l

Thierry Denoël

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