Deux gamins recherchent leur père dans l’attachant et lumineux Abouna, nouvelle preuve que le septième art a encore un avenir en Afrique
Le grand succès rencontré par le superbe film d’Abderrahmane Sissako En attendant le bonheur a incité le Studio 5 de Flagey à programmer une autre perle du cinéma africain. Abouna est l’£uvre du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun (né en 1961), diplômé en cinéma à Paris et en journalisme à Bordeaux, où il réside actuellement. Auteur de courts-métrages et de documentaires, il signa, en 1998, avec Bye Bye Africa, le premier film de long-métrage jamais tourné intégralement dans son pays natal. C’est également au Tchad que se déroule Abouna, remarqué au Festival de Cannes (à la prestigieuse Quinzaine des réalisateurs), puis à celui de Rotterdam.
C’est l’histoire de deux frères, Amine (8 ans) et Tahir (15 ans), marqués par la soudaine disparition de leur père. Celui-ci a quitté le foyer familial sans prévenir, suscitant l’indifférence affichée d’une épouse pas loin de proclamer » Bon débarras ! « . Les enfants, eux, ne pourront faire comme si de rien n’était. Sans explication quant au départ du papa, ils se sentent injustement abandonnés, et entreprennent de retrouver la trace du géniteur enfui à l’heure même où il avait promis d’arbitrer leur match de football avec les copains du village…
Dans une scène admirable, Amine et Tahir, qui sont partis chercher leur père en ville, entrent dans un cinéma et voient celui qu’ils poursuivent apparaître sur l’écran, dans le film qu’ils regardent ! Après la séance, ils voleront les bobines et dérouleront la pellicule pour apercevoir à nouveau les images du papa. Pris sur le fait, ils se verront expédiés dans une stricte école coranique… d’où ils n’auront de cesse de s’échapper pour reprendre leur » mission « . On songe d’évidence aux Quatre Cents Coups de Truffaut, dont les échos affectifs sont nombreux dans Abouna, autre exemple touchant de la magie du cinéma considérée comme un baume soignant les blessures de la vie familiale, dans un monde aux règles parfois hypocrites et souvent mal comprises par des enfants en quête de vérité. Mahamat Saleh Haroun n’a pas le style soigneusement maîtrisé, esthétiquement accompli, du Sissako d’ En attendant le bonheur. Son approche est plus spontanée, idéalement adaptée au mouvement de jeunes héros adorables mais forcément turbulents. Il nous fait complices des désarrois, des élans, des révoltes et de la recherche d’harmonie vécus par Amine et Tahir, deux lascars dont nous n’oublierons pas de sitôt les aventures, idéalement campés qu’ils sont par Ahidjo Mahamat Moussa et Hamza Moctar Aguid.
Malgré la crise permanente dans laquelle il se débat avec des moyens dérisoires, le cinéma d’Afrique nous offre avec Abouna une nouvelle occasion de vibrer, d’espérer aussi dans la survie d’une forme d’expression d’autant plus précieuse qu’elle est constamment menacée.
Louis Danvers