OPA : Opération passionnelle aléatoire

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

(1) Anne Heldenberg et Karin Comblé, Une décennie d’OPA en Belgique : Economie et finance en mutation, éditions du Crisp, 186 pages.

Tout le monde se souvient de l’épisode rocambolesque de la Société générale de Belgique en 1988. Depuis, quelque 350 offres publiques d’acquisition (OPA) ont été répertoriées par la Commission bancaire et financière. Cette décennie d’OPA a fait récemment l’objet d’une analyse pleine d’enseignements (1). Au-delà des cas exemplaires décortiqués par les auteurs pour mettre au clair les logiques à l’£uvre, au-delà de l’examen critique des législations édictées (en attendant l’Europe…) par les Etats membres pour tenter de mettre de l’ordre dans ces phénomènes marchands spectaculaires et parfois ravageurs, le livre interpelle surtout quant aux raisons profondes de ce processus financier.

Le constat dressé par les auteurs est, en effet, pour le moins étonnant. Dans un contexte d’approfondissement de la construction européenne, de développement de la mondialisation et de montée tous azimuts de la pression concurrentielle, la volonté d’accéder à une taille critique est logiquement évoquée pour expliquer les rapprochements entre groupes d’entreprises. De même, le souci d’améliorer la compétitivité en tirant parti de synergies industrielles ou commerciales entre entités précédemment concurrentes est légitime dans un environnement de guerre économique.

Pourtant, cette idée de masse critique à atteindre, explique l’étude, demeure mal définie. Elle est même discutable si on la mesure à l’aune des résultats des restructurations effectivement réalisées. Par ailleurs, les OPA créent en général peu de valeurs. Et celles-ci, lorsqu’elles se présentent, reviennent le plus souvent à la cible plutôt qu’à l’acquéreur… Bref, comme le demandent ses auteurs :  » Pourquoi donc des entreprises initient-elles des opérations de rapprochement qui ne leur permettent pas de s’enrichir ?  » Bonne question !

Certes, on peut tenter de résoudre ce paradoxe en invoquant la nécessité d’atteindre une taille européenne. Ou le fait que, sans l’OPA concernée, la situation de l’acquéreur se serait détériorée. On peut aussi appeler à la rescousse la complexité de l’opération et l’intervention massive d’experts spécialisés qu’elle rend obligatoire, lesquelles empêchent les acteurs d’avoir une vision d’ensemble de leur démarche et, partant, une idée précise de son impact final.

L’ouvrage, néanmoins, n’hésite pas à avancer une autre hypothèse : celle d’entrepreneurs succombant au péché d’orgueil, ce qui  » peut probablement expliquer l’inefficacité de quelques opérations. Convaincus de leurs compétences et de la qualité de leurs choix stratégiques, certains dirigeants d’entreprises se lancent dans des opérations de rapprochement de façon inconsidérée « . On aurait pu y ajouter sans doute  » la dynamique de l’engagement  » très étudiée en sociologie des organisations. En clair : quand une décision est prise publiquement, ce qui est forcément le cas d’une OPA, celui qui l’a assumée s’entête dans cette voie, quelle que soit l’ampleur des contre-preuves éventuelles. Notamment parce que le fait de persévérer est censé démontrer que l’on ne s’est pas trompé…

Mais soit. Tout ceci prouve bien, si nécessaire, que l’entreprise n’est pas, contrairement à ce qu’affirment ses arrogants hérauts – il est vrai, un peu fatigués – la pure rationalité en action. îuvre humaine, elle sera toujours incapable d’explorer à l’avance tout le champ du possible pour le plus grand bonheur du plus grand nombre. Bref : comme nous tous, le  » privé  » bricole…

Laurence van Ruymbeke

L’entreprise, aussi, a ses raisons que la raison ne connaît pas…

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