» On n’est pas des tueurs ! « 

Des conducteurs de train se confient au Vif/L’Express. Choqués par le drame de Hal, ils dénoncent les cadences infernales qu’on leur impose, la formation rabotée des recrues et l’état des infrastructures.L’homme accuse le coup. Buizingen, il connaît trop bien. Conducteur de train, il passe par ce secteur au trafic dense plusieurs fois par semaine. Cheminot liégeois, Patrick n’oubliera jamais les images des trains désarticulés, des wagons enfoncés, des navetteurs blessés. Il a perdu des collègues dans la catastrophe du 15 février. Le lendemain, à 5 heures du matin, il a débrayé.  » Par solidarité avec les conducteurs et accompagnateurs de trains qui ont entamé un mouvement de grève spontanée. Nous travaillons pour gagner notre vie, pas pour la perdre. Et on n’est pas des tueurs !  »

Il se dit persuadé qu’un tel accident était prévisible.  » Le secteur de Hal, stressant pour les conducteurs, est un entrelacs de rails et d’aiguillages où l’on circule à du 120 kilomètres à l’heure et où l’on s’évite à la dernière minute. Il faut avoir le c£ur bien accroché !  » Comme d’autres membres du personnel de la SNCB, Patrick pointe du doigt le rythme et la charge de travail imposés aux cheminots. Le rail, moyen de transport devenu dangereux ?  » Je ne dis pas cela. Mais la pression sur le personnel roulant a augmenté.  » Patrick ouvre son agenda :  » Demain, je prends mon service à 4 h 20. Il s’achève à midi. Après-demain, je travaille de 5 h 20 à 14 h 05… Chez nous, ce n’est pas comme à Cockerill ou à la centrale de Tihange : chaque jour, nous avons un horaire différent, programmé par un système informatique des semaines à l’avance ! La fatigue se fait sentir. La conduite exige pourtant une vigilance de chaque instant. « 

Jean-Pierre, un ancien des chemins de fer, explique :  » Avec l’informatisation des horaires, pas un moment de perdu. Les journées de travail ne peuvent dépasser neuf heures. Mais on se rapproche de plus en plus souvent de ce seuil maximum. En bout de ligne, les conducteurs n’ont plus le temps de souffler.  » Patrick confirme :  » Quand j’arrive à Tournai, pendant l’heure où je ne roule pas, je suis affecté à d’autres tâches : man£uvrer des machines, garer des locos… « 

L’état du matériel et la formation de nouvelles recrues sont également mis en cause :  » Il y a vingt-cinq ans, j’ai eu droit à dix-huit mois de formation, se souvient Daniel, un collègue de Patrick. La moitié du temps était consacrée aux cours pratiques. Aujourd’hui, avec le nouveau programme, baptisé New Elan, on ne dispense plus que neuf mois de formation, dont trois environ d’exercices pratiques. Les techniques d’apprentissage ont changé pour nous rendre productifs plus rapidement.  » Les contrôles de sécurité, eux, sont stricts, d’après nos interlocuteurs :  » Pas question de circuler avec des roues fêlées ou un bloc de freins usé, indique Daniel. Même si les pièces de rechange font parfois défaut, même s’il nous arrive de rouler avec une  »demi-machine », soit deux moteurs en fonction sur quatre, ce n’est quand même pas le Congo ! « 

O.R.

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