ON NE PEUT PAS TOUT DEMANDER À LA POLITIQUE MONÉTAIRE !

A la sortie de la séance finale où l’on avait conclu l’accord sur le Traité de Maastricht, en 1991, Jacques Delors n’avait pas caché son insatisfaction :  » Cette construction est boiteuse. La jambe monétaire est forte mais la jambe économique est faible. Comme toujours dans pareille situation, le défaut de la seconde finira par affaiblir la première.  » Les propos de l’ancien président de la Commission européenne apparaissent aujourd’hui prémonitoires. Car c’est exactement ce que confirme la controverse sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), en particulier l’arsenal de mesures annoncées par Mario Draghi, son président, le 10 mars.

A défaut d’une politique de relance menée de façon coordonnée par les gouvernements de la zone euro, on a demandé de plus en plus à la  » jambe forte « . On a poussé la BCE à se donner le mandat de relancer l’économie de la zone euro. Mario Draghi a pris l’engagement de  » faire tout ce qui est nécessaire  » et a lancé des opérations de moins en moins  » conventionnelles « . Celles-ci prennent une ampleur croissante – la BCE va augmenter de 60 à 80 milliards ses achats mensuels d’obligations ! – mais beaucoup doutent de leur efficacité. La complexité du mécanisme de transmission de la politique monétaire et l’incidence de facteurs qui échappent au contrôle de la BCE rendent aléatoire toute corrélation directe entre les mesures annoncées et les résultats escomptés.

Car quelles seront les conséquences d’une augmentation de 20 milliards de la création mensuelle de liquidité ? Très probablement le maintien de taux d’intérêt extrêmement bas et donc une diminution temporaire du poids du service de la dette. Mais un impact positif sur l’économie ne se fera sentir que dans la mesure où cette liquidité additionnelle est affectée à des investissements productifs. Or, rien n’est moins sûr. Même le rachat d’obligations de sociétés non bancaires, que la BCE a l’intention de mettre en oeuvre à partir du troisième trimestre 2016 en vue de  » renforcer la transmission de notre opération de rachats d’actifs aux conditions de financement de l’économie réelle  » n’aura pas nécessairement l’impact positif attendu. D’abord, parce que ce rachat ne pourra porter que sur les obligations des sociétés  » les mieux cotées par les agences de notation « , c’est-à-dire des grandes sociétés qui ont déjà, pour la plupart, une liquidité abondante. L’opération n’aura un impact positif que si la société concernée affecte le produit des emprunts à des investissements additionnels plutôt qu’au refinancement de dettes existantes ou au rachat de ses titres.

On répondra que ces mesures non conventionnelles sont appliquées par d’autres banques centrales. Mais elles ont un impact très différent selon les zones monétaires. Aux Etats-Unis, la politique monétaire de la Federal Reserve s’applique uniformément à un territoire diversifié économiquement, mais divers mécanismes fédéraux permettent de soutenir l’investissement dans les Etats ou les secteurs qui en ont davantage besoin. Il n’y a évidemment pas de mécanisme comparable au niveau de la zone euro. Les autorités politiques n’ont pas mis à profit le répit que les mesures de la BCE leur a donné pour achever la construction de la zone euro, c’est-à-dire la doter des instruments de politique économique qui la rendront plus solide (1). Nous risquons de regretter amèrement de ne pas avoir renforcé à temps la  » jambe faible « .

(1) Lire aussi : L’euro en question(s), par Philippe Maystadt, éd. Avant-Propos, 2015.

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par Philippe Maystadt

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