» On aura bientôt un clivage générationnel « 

Le prochain gouvernement ne pourra plus fermer les yeux sur le coût du vieillissement. Les réformes seront-elles réellement plus faciles à entreprendre et à faire passer sans les socialistes ? Les réponses de l’économiste Geert Noels.

La réforme mammouth qui attend le gouvernement fédéral est certainement celle des pensions. D’autant que ce dossier est tributaire d’autres réformes concernant la fiscalité ou la compétitivité des entreprises dont les travailleurs contribuent à supporter les charges de la société. Les réformes en la matière seront-elles plus faciles à entreprendre sans les socialistes au gouvernement ? Pas nécessairement, selon Geert Noels, professeur d’économie, orateur très sollicité en Flandre et fondateur d’Econopolis. Il s’en explique.

Le Vif/L’Express : Un gouvernement fédéral sans les socialistes, est-ce une opportunité pour les réformes à venir sur le plan économique ?

Geert Noels : Je ne crois pas que ce soit simplement une question de gauche ou de droite. En Allemagne, les changements sont intervenus sous un gouvernement plutôt de gauche. Par ailleurs, on donne un peu vite une étiquette de droite à la coalition  » suédoise  » qui est en train de se négocier. Je ne pense pas que le CD&V soit vraiment à droite. La mouvance syndicale au sein de ce parti continue à avoir une grande influence. Il suffit de voir les ministres qui sont montés au gouvernement flamand : tous sont de cette mouvance ACW, aujourd’hui beweging.net.

Cela dit, ce sera plus facile sans les socialistes, non ?

Pas forcément. Les défis qui sont devant nous sont énormes. Il faut inévitablement entamer de grandes réformes. Mais ces réformes, le prochain gouvernement devra les réaliser en coopération avec les autres niveaux de pouvoir, les Régions, les Communautés et les communes. L’opposition sera très dure, non seulement de la part des partis qui ne seront pas dans la coalition, mais de la part des autres entités et même au sein des partis de la majorité où il risque d’y avoir des voix dissonantes.

Pourquoi pensez-vous que ce sera si difficile ?

Durant la campagne, les candidats ont parlé des impôts qui n’augmenteraient pas, de la reprise économique qui arrive… Les débats politiques n’ont pas réellement tourné autour des enjeux des réformes à venir. Il est tout de même piquant de constater que le rapport de la Commission pour la réforme des pensions ait été rendu public deux semaines après les élections. C’est aussi après le 25 mai qu’on a évoqué les contrevents budgétaires entraînant des révisions de la croissance à la baisse. Le fait que les mentalités n’ont pas été préparées augmente le défi du prochain gouvernement. Chaque réforme sera considérée comme radicale par l’opinion et l’opposition en profitera pour attiser ce sentiment.

On aurait dû davantage parler des pensions durant la campagne ?

Certainement. Il fallait expliquer l’ampleur du dérapage budgétaire en la matière. Deux chiffres permettent de le comprendre aisément. En 2002, le Conseil supérieur des finances prévoyait qu’en 2030, le coût du vieillissement représenterait 24,7 % du PIB. Dans son rapport, la Commission pour la réforme des pensions a établi qu’en 2013, soit bien avant 2030, le coût a atteint 26,4 % du PIB. Et ce alors que le vrai choc du vieillissement prévu entre 2010 et 2030 n’est pas encore arrivé. C’est une bombe…

A quoi faut-il attribuer ce dérapage ?

A plusieurs éléments. On a surestimé la croissance et on continue de le faire. On a fait trop de promesses et accordé trop d’avantages, notamment pour les pensions des fonctionnaires, sans parler du dérapage des coûts des soins de santé. C’est l’héritage des gouvernements Verhofstadt qui pour maintenir la cohésion de la majorité arc-en-ciel ou violette ont multiplié les promesses qui aujourd’hui nous coûtent cher. A l’époque, ces gouvernements bénéficiaient d’une belle marge budgétaire qui aurait pu être utilisée pour absorber des chocs comme celui du vieillissement mais qui, au lieu de cela, a été gaspillée. C’est un héritage très lourd.

Nos voisins font-ils mieux ?

Les Pays-Bas ont certainement mieux anticipé le vieillissement. C’est une question de mentalité, ici, renforcée par la problématique de la montée des mers qui pousse les Néerlandais à raisonner à long terme. En Belgique, les dirigeants francophones comme néerlandophones ne se préoccupent que de maintenir la solidarité d’aujourd’hui, pas de faire en sorte qu’elle persiste demain. On ne mesure pas les conséquences du conflit entre générations que cela peut entraîner.

C’est-à-dire ?

Nos enfants et petits-enfants trouveront cela injuste et le feront savoir. C’est déjà le cas maintenant. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail ont un statut plus précaire que celui de leurs parents, avec moins d’avantages, et ils paient plus d’impôts. Cela va s’accentuer. A côté du clivage communautaire et du clivage gauche-droite, on aura bientôt un troisième clivage qui sera générationnel, avec des partis qui représenteront les intérêts des jeunes et d’autres ceux des plus âgés.

Démographiquement, les plus âgés seront néanmoins plus nombreux. Ils auront donc plus de poids électoral.

Vous oubliez que les jeunes votent aussi avec leurs pieds. Ils peuvent facilement quitter le pays, surtout les mieux formés. Cette génération est d’ailleurs habituée à se déplacer au-delà des frontières. Le risque de fuite des jeunes cerveaux talentueux est réel si le contexte socio-économique leur est défavorable. Selon les rapports, la Belgique est déjà championne en matière de brain drain.

Le système de pension ne peut-il être sauvé par l’immigration ?

C’est une vaste illusion. Surtout avec la mauvaise intégration économique des immigrés en Belgique (NDLR : selon une récente étude d’Eurostat, la Belgique est la lanterne rouge de l’UE pour l’emploi des travailleurs extra-européens). Le chômage à Bruxelles concerne surtout des jeunes issus de l’immigration. Ce n’est pas de leur faute. C’est dû à une mauvaise politique économique et à un manque de formation adéquate.

Reculer l’âge de la pension est-il inévitable ?

Il est nécessaire de repenser l’âge de la pension en fonction de l’espérance de vie qui augmente. C’est logique. Notre système social n’est pas fait pour supporter une telle évolution. Maintenant, travailler plus longtemps ne veut pas dire travailler avec la même productivité jusqu’au bout. Il faudra adapter la charge de travail. Mais le système ne peut plus continuer avec un noyau de travailleurs du privé qui doivent être de plus en plus productifs, en raison de la compétitivité, et, en même temps, supporter de plus en plus de charges pour la société, en raison du vieillissement. Ce n’est plus tenable. Les burn-out se multiplient, ce n’est pas un hasard. Un autre signe : en Belgique, on ne parvient plus à créer des emplois privés qui ne soient pas subsidiés.

Comment faire passer les réformes auprès de l’opinion ?

En donnant des perspectives réalistes aux gens. Les médecins font cela tous les jours avec leurs patients : prescrire un traitement pour que l’avenir soit meilleur. Il ne s’agit pas d’appliquer une politique de droite ou de gauche. Il faut un équilibre entre les deux, entre la solidarité d’aujourd’hui et la responsabilité pour demain. Il faut que tout le monde soit convaincu que le projet est juste. J’espère que les négociateurs de la  » suédoise  » réfléchissent dans ce sens. Car, pour l’instant, ce qui filtre ne concerne que les trois candidats au poste de commissaire européen. C’est un peu décevant…

Propos recueillis par Thierry Denoël

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