Installations étranges pour un effet aussi saisissant que dérangeant. © VAN ROMPAY

Nuit (d’amour) et brouillard

La Monnaie monte Tristan und Isolde, le plus grand drame lyrique à la gloire d’une passion impossible.

Quand il entame, à Zurich, en 1857, la composition de Tristan und Isolde, Richard Wagner affirme vouloir  » élever un monument au plus beau de tous les rêves  » : l’amour partagé, comblé – qu’il a sans cesse poursuivi, sans jamais l’atteindre. Son génie mettra deux ans à accoucher de cet immense poème symphonique, cosmique, à la grâce surnaturelle.  » C’est quelque chose de terrible !  » confie-t-il, au bout de sa peine, à Mathilde Wesendonck, l’une de ses maîtresses. Terrible par son pessimisme final (un coup de foudre contrarié trouve-t-il vraiment son accomplissement dans une mort romantique ? )… et terriblement difficile, aussi, à porter sur scène, tant il s’y passe peu de choses. Presque rien, en vérité : le chevalier Tristan escorte Isolde (une jeune Irlandaise destinée à son souverain Marke), en tombe raide dingue par l’effet d’une potion magique, et le paie de son existence. Selon la vélocité des chefs d’orchestre (Alain Altinoglu, ici, reste dans la bonne moyenne), ce concentré d’ingrédients oedipiens (on y trouve la figure du père adoré mais néanmoins rival, la femme interdite donc désirée, et le trépas comme seule issue) dure environ quatre heures (pauses non incluses). La question se pose donc : comment servir ce long chant d’extase à un auditoire moderne ? En confiant le challenge au cinéaste allemand Ralf Pleger et à son compatriote, le sculpteur-décorateur Alexander Polzin, La Monnaie a choisi de privilégier la métaphore et le minimalisme.

Vagues puissantes

Evitant toute temporalité, l’équipe créatrice a donc enveloppé cette nouvelle production (le dernier Tristan, à Bruxelles, remonte à douze ans) d’un brouillard irisé, vaporeux et quelquefois lugubre, qui rend l’expérience très envoûtante et sensuelle. Pour transposer en images durables le flot incessant de paroles chantées, ces artistes ont opté pour des installations étranges où les solistes se déplacent en gestes lents et théâtraux : le célèbre deuxième acte donne ainsi à voir, dans la nuit érotique qui transforme l’ivresse de l’extase en désir de mort, un enchevêtrement d’énormes racines délavées (ou de vertèbres, ou de neurones ? ) où bougent avec précaution une douzaine de danseurs blanchis à la craie. L’effet induit par cette énorme anémone de mer mouvante est aussi saisissant que dérangeant. Face à une Isolde (elles sont trois, en alternance : les sopranos Ann Petersen, Ricarda Merbeth et Kelly God) emballée dans des tenues pour le moins excentriques, Tristan (les ténors Christopher Ventris et Bryan Register) incarne celui dont la violence de l’ardeur laisse dévasté un roi bien-aimé (formidable Franz-Josef Selig, à la voix chaude et robuste). Car tout cela n’est pas drôle. Même réciproque, une dévotion sans avenir est une vraie calamité, et rien ne certifie que la fin tragique des deux amants signifie enfin une réconfortante union éternelle… plutôt que leur simple anéantissement physique. Dans ce flot mélodique aux vagues puissantes, le public, un peu groggy, préfère sans doute espérer, avec Neruda, que  » si rien ne sauve de la mort, l’amour, au moins, sauve de la vie « …

Tristan und Isolde, de Richard Wagner, jusqu’au 19 mai, à La Monnaie, à Bruxelles. www.lamonnaie.be.

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