» Nous manquons de main-d’oeuvre ! « 

Des milliers de travailleurs étrangers, souvent polonais, sont employés sur des chantiers belges. En soi, rien d’illégal. Mais les fraudes sont massives, et la concurrence souvent déloyale

Trois grues en action. La rumeur des foreuses et des marteaux. Le va-et-vient des hommes. La poussière qui imprègne l’air. Au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’épicentre du chantier, les sensations se font plus précises. Ici, à deux pas de la place Meiser (Bruxelles), une soixantaine d’ouvriers construisent ce qui sera le nouveau siège de RTL-TVI. Les délais sont très courts : pour le 30 septembre, les bureaux doivent être opérationnels. C’est la raison pour laquelle le groupe CFE, détenteur du contrat, a fait appel à un sous-traitant étranger. Une quinzaine de travailleurs sont arrivés du Portugal, et se chargent de la maçonnerie. Il faut aller vite. Et ils vont vite !  » Le soir, ils repartent à 17 heures, au lieu de 15 h 30 comme nous. Ils viennent parfois le samedi. Mais je n’arrive pas à savoir combien le sous-traitant les paie « , témoigne Jacques Mathieu, délégué syndical.

Au travail, les Portugais sont aisément reconnaissables. Ce sont les seuls vêtus d’une chemise et d’un jeans, quand tous les autres portent une combinaison de sécurité. De temps à autre, l’un d’entre eux se dirige vers le chef d’équipe et lui mime l’outil dont il a besoin. Ils ne parlent pas français.  » Le travail est beaucoup mieux maîtrisé avec notre propre personnel. Mais nous sommes obligés de prendre un sous-traitant. Depuis trois ans, nous cherchons des maçons et nous n’en trouvons pas suffisamment « , explique Frans Vereecken, chef de projet chez CFE. Des magouilleurs ? Oui, il reconnaît que la profession en regorge. Mais tout est réglo dans son entreprise, jure-t-il. Pour preuve, il exhibe une farde, d’où il extrait plusieurs fiches. Il s’agit des fameux formulaires E 101. Ceux-ci, émis par les autorités portugaises, prouvent que tous les travailleurs engagés sur le chantier sont en règle de cotisations sociales. En théorie, du moins. Car le  » E 101  » fait l’objet d’un véritable trafic de faux documents. Et l’Inspection du travail est souvent incapable de vérifier la validité de ces papiers rédigés en hongrois, en grec, en polonais…

D’après la législation européenne, n’importe quel travailleur peut être  » détaché  » dans un autre pays membre de l’Union pour une période de six mois, renouvelable une fois. Sauf que, là aussi, la fraude existe. En Belgique, des centaines d’ouvriers polonais seraient occupés de façon structurelle sur certains chantiers. Par ailleurs, les personnes  » détachées  » doivent normalement recevoir le salaire minimum du pays dans lequel ils opèrent. Dans la majorité des cas, cette disposition n’est pas non plus appliquée : dans le bâtiment, rares sont les travailleurs originaires de l’Est qui gagnent autant que leurs collègues belges.

Côté patronal, on ne se voile pas la face.  » Le secteur de la construction est pourri par le travail au noir. Mais le fond du problème, c’est le manque de main-d’£uvre. Il y a des tas d’emplois pour lesquels on ne trouve personne. Du coup, même les entrepreneurs honnêtes sont presque obligés de recourir à des clandestins, notamment polonais « , affirme Hans Declercq, pour la Confédération de la construction. A la tête de la CSC-Bâtiment, Luc Van Dessel reconnaît que certains postes sont difficiles à pourvoir.  » Passons tout le secteur du bâtiment au scanner ! On verra alors les métiers pour lesquels il y a vraiment une pénurie de main-d’£uvre, propose-t-il. Ensuite, on pourra ouvrir nos frontières aux travailleurs étrangers, et traquer la fraude là où c’est nécessaire.  »

F.B.

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