Nos fermiers suivis à la trace

De la fourche à la fourchette, l’Afsca veille à la sécurité de la chaîne alimentaire. Ses contrôleurs ne sont pas toujours bien accueillis. Mais ça va mieux ! En route avec l’un d’eux.

A entendre certains récits, c’est le Far West dans nos campagnes. Le goudron et les plumes. Parfois pire. La cible : les contrôleurs de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), chargés de vérifier le respect des normes d’hygiène avec parfois de lourdes amendes à la clé.  » Lors d’un contrôle d’une cuisine de collectivité, la situation s’est envenimée lorsque j’ai voulu détruire des denrées alimentaires à mauvaise température. J’ai vraiment eu très peur « , témoigne Jean-Paul Denuit, aujourd’hui porte-parole de l’Afsca. Certains se font copieusement engueuler, un autre aurait été chassé à coups de fourche, un troisième suspendu à une grille. A Namur, un agriculteur a menacé de lancer un bloc de béton sur les contrôleurs ( » Je ne faisais que le déplacer « , se justifiera-t-il au tribunal de Namur), à qui il reprochait de ne pas avoir pris rendez-vous !

En 2011, 37 agents ont déposé plainte pour violence verbale ou physique, soit deux fois plus qu’en 2010. Alarmant ? Pas vraiment. Le nombre de plaintes est insignifiant en regard du nombre de contrôles effectués en 2011, soit près de 115 000. Et près de 550 agents (contrôleurs, vétérinaires…) sillonnent les fermes du royaume mais aussi les restaurants, les friteries, les cafés.  » Et si les plaintes augmentent, c’est aussi parce que nous encourageons nos hommes à les déclarer, explique Jean-Paul Denuit. Ils se sentent aujourd’hui davantage écoutés et pris en charge par la hiérarchie.  » Les cas d’agression augmentent davantage lors de grandes crises comme la grippe aviaire, car les exploitants voient disparaître leur gagne-pain et sont désespérés. Pour éviter les incidents, les contrôleurs suivent désormais une formation en communication. En outre, les  » opérateurs  » qui contestent une sanction peuvent désormais s’adresser à un service de médiation.

Le premier quart d’heure est crucial

A l’unité provinciale de contrôle de Mons, forte d’une cinquantaine de contrôleurs, Gérard Dupont ne semble pas vraiment stressé au moment de partir en mission.  » Je contrôle depuis huit ans, explique le vétérinaire. Au début, j’étais plutôt impulsif. On élève la voix, on fait dans l’excès d’autorité. Or le but est d’apaiser la relation et de faire en sorte que le contrôle se passe bien.  » Il ne sent pas toujours bienvenu.  » Nous arrivons souvent au beau milieu d’histoires de couples, de problèmes de divorce, et il faut faire avec.  » Si un individu en vient aux menaces, avec une arme de surcroît, comme cela lui est déjà arrivé, il n’insiste pas. Mais il reviendra de toute façon. Avec la police, cette fois.

Arrivé dans une ferme de Mignault (Le R£ulx), bien cachée derrière un bois, Gérard Dupont sort son badge et va serrer la pince des jeunes fermiers, Jean-Pierre Mahieu et sa femme Nathalie.  » Le premier quart d’heure est crucial « , nous chuchote le contrôleur. Accueil souriant, sans doute forcé.  » On y pense tous les jours, à ces contrôles « , glisse Jean-Pierre, qui restera aussi taciturne que sa femme tout au long de la  » descente « . Or il n’a pas trop de souci à se faire. Les registres sont en ordre. Le stockage des médicaments est correct. Les vaches ont toutes leurs boucles, garantes de la traçabilité. Tout est nickel, on ne salit même pas ses chaussures dans l’étable où les vaches aux doux noms de Mandoline, Etincelle et Adrenaline (sans doute la plus stressée) ont droit à un tapis pour amortir leurs anguleuses complexions. Or ce tapis ne figure pas dans la check-list de Gérard Dupont. Bon résultat donc pour les Mahieu qui en profitent pour montrer fièrement leur robot pour traire le lait.

Direction les volailles ensuite. Gérard Dupont enfile une combinaison comme s’il allait éteindre le réacteur de Fukushima. Mais ce n’est jamais que pour inspecter un poulailler. Le fermier observe sans broncher. Là aussi, tout est OK. Y compris l’alarme obligatoire qui doit signaler sur son GSM une éventuelle coupure de courant. Sans ventilation, les 10 000 volatiles seraient décimés en moins de deux heures.  » On ne part jamais en vacances, nous travaillons tous les jours, déclare Jean-Pierre Mahieu. Même si on va à un mariage, on rentre plus tôt.  » Le tout sans se plaindre : cela fait vingt-trois ans qu’il est fermier. Son père l’était. Et ses fils ont déjà attrapé le virus (même si le mot fait frémir dans les fermes).  » Du temps de mes parents, il n’y avait pas de contrôle. Aujourd’hui, on doit faire attention à tout « , rumine-t-il, ajoutant prudemment – car Gérard Dupont l’écoute –  » c’est mieux ainsi « .

Il n’y a pas que l’Afsca. Le couple voit débouler sans prévenir d’autres intervenants, publics ou privés : la QFL pour le lait, GIQF pour les cultures, Belplume pour les volailles, la Région wallonne…  » C’est beaucoup de papiers « , résume Nathalie. Signe des temps, même Gérard Dupont est contrôlé !  » Nous sommes soumis à des indices de performance « , explique-t-il, goguenard, tandis qu’il remet le bon bulletin à Jean-Pierre Mahieu : 0 % de non-conformité.  » Si les contrôles se passent mieux, ponctue le vétérinaire, c’est aussi parce que nos check-lists sont très précises et donc peu contestables. C’est carré, presque mathématique. Le seul sujet délicat reste le bien-être animal, car c’est très subjectif. « 

Aujourd’hui, les contrôles dans le secteur primaire ont conduit à près de 98 % de conformité aux normes, alors que le secteur Horeca est à la traîne.  » C’est la preuve que l’Afsca est entrée dans les m£urs, analyse Gérard Dupont. Par exemple, nos mesures contre la brucellose sont efficaces et les opérateurs le savent.  » Le vétérinaire prend ensuite congé pour se rendre dans une autre ferme, où il fera un prélèvement pour la recherche d’hormones. Gare à l’opérateur qui n’est pas en ordre avec les anabolisants. Son exploitation sera mise sous  » statut H « , qui la bloque pendant un an, avec toutes les analyses à ses frais. Le dossier est transmis au parquet. En 2011, seule une exploitation a été sanctionnée.

François Janne d’Othée

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