Norvège Au pays de la reine des sagas

Marianne Payot Journaliste

D’Oslo aux îles Lofoten, voyage dans ce paradis des écrivains. Où règne en maîtresse incontestée Herbjorg Wassmo, romancière de l’envoûtant Livre de Dina.

Oslo, un jour comme les autres. Quelques passants emmitouflés se croisent dans les rues rectilignes de la cité d’Ibsen, le nouvel Opéra, fierté du pays, se reflète dans les eaux gelées du fjord, le silence se conjugue à l’apparente sérénité. La Norvège, ses fjords, son pétrole età ses écrivains, telle pourrait être la devise de ce petit pays du Nord. Car, si le Norvégien lit beaucoup (96 % du petit 5 millions d’entre eux lisent au moins un livre par an ; 40 %, plus de 11), il écrit aussi énormément – 10 700 titres sont publiés par an, dont plus de 400 fictions. L’Etat voit tout cela d’un très bon £il, qui achète 1 000 exemplaires (pour les bibliothèques) de la moitié de ces romans. Ajoutez à cela des aides à la promotion à l’étranger, gérées par un institut idoine, le Norla, des prix littéraires à foison, des bourses multiples et des droits d’auteur élevés (20 %) et vous comprendrez que le scribe viking jouit d’un statut à faire pâlir d’envie. Pourtant, tout n’est pas rose au pays de Oui-Oui – on y connaîtrait même la jalousie, comme nous le confie, sous le couvert de l’anonymat, une romancière se souvenant de la grande réserve des participants d’un festival à l’égard de Jo Nesbo, best-seller national (plus de 250 000 exemplaires par polar) et international.

Mais c’est avec la juvénile Herbjorg Wassmo (68 hivers à l’état civil, 10 printemps de moins à l’£il) que nous nous envolons à bord de quelque coucou vers les îles Lofoten.

Quatre générations de femmes

Herbjorg Wassmo, petit bout de femme tout en énergie, fait rarement deux pas sans être arrêtée par un admirateur. C’est que depuis Trilogie de Tora, en 1981, saga dans la pure tradition, peuplée de personnages sensibles confrontés à la sauvage nature et aux tempêtes humaines, cette ancienne institutrice a acquis ses lettres de noblesse sur la planète nordique. Un statut que sa fameuse trilogie du Livre de Dina a amplifié à juste raison. La dame a donc besoin de calme et de solitude pour écrire. Et c’est sur cet archipel du Nord, berceau de son enfance, balayé par les vents et baigné par le Gulf Stream, que Herbjorg Wassmo est venue retracer, dans Cent Ans, la destinée de quatre générations de femmes, du XIXe siècle à nos jours.

Nichée dans le phare de Henningsvær, propriété de l’une de ses amies, Herbjorg a ressuscité en deux temps la vie – réelle ou fantasmée – de ses ancêtres : Sara Susanne, l’arrière-grand-mère, témoin de son époque et de la dureté de la vie ; Elida, la grand-mère, plus amante que maternelle ; Hjordis, la mère ; et elle-même, Herbjorg.  » Quand j’ai compris que je devais apparaître dans cette histoire, j’ai dû en interrompre la narration « , explique, encore émue, la romancière. En guise de bouffée d’air (!), elle écrit et publie Un verre de lait, s’il vous plaît, soit le roman réaliste et éprouvant de l’asservissement sexuel des Européennes de l’Est dans la Norvège d’aujourd’huià

 » Parler de sentiments sans faire de psychologie « 

Puis elle est revenue raconter cette histoire qui lui tient au c£ur et au corps depuis des années. Le récit – passionnant – des anciens, bien sûr, qui donne à voir l’évolution de la condition féminine sur deux siècles, mais aussi et surtout, sa mère, mutique, aimante, profondément éprouvée par une enfance chaotique – elle a été  » confiée  » à 2 ans à une famille nourricière avant d’être récupérée à 6 – et ce  » je  » que l’on devine terrorisé par le père.  » Parler de sentiments sans faire de psychologie « , c’est ce à quoi s’est attelée la Norvégienne du Nordland,  » mue par la colère et frappée par la honte familiale « . Pudique et fondamentalement  » gagnante « , victime sans en avoir le tempérament, Herbjorg Wassmo avance à demi-mot l’insupportable mais en noircit la feuille blanche.

 » Un écrivain norvégien est quelqu’un qui arrive enfin à dire ce qu’il a sur le c£ur « , résume le spécialiste des littératures nordiques Régis Boyer (voir l’entretien page suivante). A ce titre-là, Herbjorg Wassmo, princesse de l’archipel des Lofoten, est bien la reine des Norvégiens.

Cent Ans, par Herbjorg Wassmo, trad. du norvégien par Luce Hinsch. Gaïa Editions, 560 p.

MARIANNE PAYOT

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