Ne ratez pas ce transit !

Vénus s’apprête à défiler devant le Soleil. Cet événement céleste rare, observé cinq fois seulement dans l’histoire de l’humanité, mérite sûrement un coup d’oil – avec des lunettes de protection !

(1) Via le site de l’Institut d’astronomie et d’astrophysique de l’ULB : www.ulb.ac.be/sciences/astro/Venus

(2) ESO : www.vt-2004.org; Planétarium : 02 474 70 53 ou www.planetarium.be; Comité belge des astronomes amateurs : www.cbaa.be.tf

Nous voici à la veille du second des deux transits, après quoi, il n’y en aura plus avant que le xxie siècle illumine la Terre, et que les fleurs de juin s’épanouissent en 2004… Où en sera la science quand viendra la prochaine saison des transits, Dieu seul le sait…  » William Harkness, astronome américain, 1882.

Le mardi 8 juin 2004 se lèvera comme n’importe quel autre jour. Sauf que, presque partout dans le monde, des millions d’observateurs contempleront un phénomène astronomique rarissime. Pour la première fois depuis 122 ans, Vénus, l’astre le plus lumineux du ciel (après le Soleil et la Lune), première planète à s’allumer le soir et dernière à s’éteindre à l’aube, Vénus, mieux connue sous le nom d' » étoile  » du Berger, s’affichera fièrement, durant six heures, devant le disque solaire. Pour autant que la météo y consente, l’entièreté de ce déplacement céleste sera visible dans pratiquement toute l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Seuls les malchanceux de la côte Ouest des Etats-Unis et de la pointe méridionale de l’Amérique du Sud manqueront le spectacle. Chez nous, le lever de rideau aura lieu à 7 heures 19 minutes 56 secondes (à Uccle, les variations pour d’autres régions belges ne dépassant pas une minute). Pour ceux qui seraient déjà coincés au travail, ou qui ne disposeraient pas du matériel adéquat pour jouir de l’événement, rien n’est perdu, puisqu’il sera aussi transmis en direct sur le Web (1).

Un transit de Vénus, pourtant, est loin d’être aussi fabuleux qu’une éclipse solaire totale due à la Lune. Bien que trois fois et demie plus grosse que notre satellite naturel, Vénus, planète déesse de l’Amour, est tellement éloignée de nous (entre 41 et 258 millions de kilomètres !) qu’elle n’apparaîtra, sur la toile jaune du Soleil, que comme une petite tache ronde et sombre, qui n’en couvrira guère plus de 3 % de la surface. En outre, le phénomène reste difficilement perceptible à l’£il nu : nos ancêtres n’ont d’ailleurs réussi à le capter que cinq fois. Alors, pourquoi tant de foin ? Pourquoi autant de scientifiques, d’enseignants et d’amateurs endiablés par l’affaire ?

D’abord, parce que cette coïncidence est extrêmement rare. L’occurrence d’un transit d’une planète, en effet, est une  » simple  » question de géométrie : quand la Terre et Vénus (mais il pourrait aussi bien s’agir de Mercure) sont alignées dans la direction du Soleil (en  » conjonction « , disent les scientifiques), leurs orbites, le plus souvent, ne sont malheureusement pas dans le même plan : Vénus passe alors trop au-dessus, ou trop en dessous de l’écliptique (le plan de l’orbite terrestre) pour se montrer pleinement face au Soleil ( voir schéma). Cette dernière figure se réalise seulement quatre fois en 243 ans û par deux couples de transits séparés chaque fois par un intervalle de huit ans. La raison de ce ballet en deux temps ? Puisque Vénus met 224,7 jours à tourner autour du Soleil, 13 révolutions  » vénusiennes  » correspondent pratiquement à 8 années terrestres. Huit ans après le premier transit, les deux planètes se retrouvent donc presque dans les mêmes positions. Presque : un défaut minime d’alignement, et Vénus loupe immanquablement son rendez-vous solaire. Voilà pourquoi au xive siècle, notamment, il n’y eut qu’un seul transit, et pourquoi celui de 3089 restera  » veuf « , lui aussi. Cette fois pourtant, si vous manquez l’événement du 8 juin, un  » rattrapage  » est encore possible le 6 juin 2012 : attention, il ne sera toutefois que partiellement visible en Europe ! Ensuite, rien à faire, il faudra passer le relais à vos descendants : le prochain couple de transits n’est annoncé qu’en décembre 2117 et 2125.

Un enthousiasme fou

L’autre grand intérêt du transit, c’est son fantastique plongeon dans l’histoire de l’astronomie. 1627 : personne n’en a encore fait mention, mais l’Allemand Johannes Kepler a l’intuition d’un passage illuminé de Vénus, pour décembre 1631. Ironie du sort, le savant mourra en 1630, avant d’en avoir eu le c£ur net… Huit ans plus tard, dotés de télescopes, les Britanniques Jeremiah Horrocks et William Crabtree assisteront aux mouvements du deuxième transit associé : ils seront les seuls pour ce siècle, et les tout premiers témoins connus de l’humanité. Une folie des transits semble alors lancée, qui poussera les observateurs à prendre la mer pour les guetter. En 1769, le capitaine James Cook met le cap sur Tahiti, voit le tableau et marque sa déception : ses calculs pour déterminer l’instant exact du  » contact  » entre la planète et l’astre sont entachés par une gêne optique (atmosphérique, croit-il) que ses successeurs nommeront l' » effet goutte noire  » : pendant quelques secondes, les bords des deux corps célestes semblent en effet fusionner, puis s’étirer comme un chewing-gum. Les transits de 1874 et 1882 donneront lieu, ensuite, à un vaste déploiement d’énergie : la Russie, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas mettent sur pied non moins de 50 expéditions. Non sans but : les astronomes ont en effet découvert qu’en relevant, en divers points du globe, les moments précis où Vénus entre et sort du cadre solaire, il est possible de calculer, grâce à la trigonométrie, l' » unité astronomique « , soit la distance Terre-Soleil, une mesure essentielle pour évaluer la dimension du système solaire et, par là, de la galaxie.

Ces valeurs ont bien sûr été précisées, depuis lors, par des instruments électroniques. Mais de nombreux chercheurs profiteront du prochain transit pour affiner des techniques permettant de détecter, cette fois, des planètes extrasolaires. Les amateurs tenteront, eux, de revivre les débuts de l’astronomie : une opération internationale, coordonnée par l’Observatoire européen austral (ESO), invite tout un chacun à collaborer à un nouveau mesurage  » à l’ancienne  » de l’unité astronomique. Le Planétarium de l’Observatoire royal de Belgique ainsi que de nombreux groupes locaux d’astronomie saluent également l’événement par diverses animations (2). Tous les spécialistes insistent cependant sur la nécessité absolue de se protéger les yeux : regarder le Soleil sans filtre, y compris à travers un télescope, peut entraîner des lésions oculaires irréversibles. Allez donc exhumer vos vieilles lunettes de l’éclipse solaire d’août 1999 (ou achetez-en de nouvelles chez l’opticien) ! Et jouissez du spectacle en rêvant : peut-être de futurs transits seront-ils bientôt admirés depuis d’autres planètes. Si, en novembre 2084, des hommes foulent le sol martien, c’est leur vieille Terre qu’ils verront glisser sur l’écran du Soleil, petit point noir mouvant sur un fond flamboyant…

Valérie Colin

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