Ne dites pas aux Français que l’impressionnisme est belge !

Sous-entendre que Bruxelles serait une capitale de l’impressionnisme dans un pays qui place ses Monet et Renoir au panthéon de la gloire, n’est-ce pas jouer la carte de la provocation ? A Giverny, c’est en tout cas un redoutable moyen d’attirer l’attention.

Depuis son ouverture, il y a cinq ans, le musée des impressionnismes à Giverny – célèbre lieu de résidence de Claude Monet, en Haute-Normandie – s’applique à explorer toutes les facettes de l’aventure impressionniste. Une vocation qui ne tolère aucune exception. En ce moment, l’institution accueille un ensemble qui place assurément sur un piédestal notre production nationale.

L’exposition met en lumière la scène artistique bruxelloise au tournant des XIXe et XXe siècles. Aux cimaises, une centaine d’oeuvres – principalement des peintures, complétées de quelques affiches et dessins – dont un tiers environ provient des collections du musée d’Ixelles. Les deux institutions ont travaillé en étroite collaboration. Claire Leblanc, conservatrice du musée d’Ixelles, assure au demeurant le commissariat scientifique de l’événement.

Auscultant six facettes du mouvement en Belgique, le parcours muséographique s’engage sur la déferlante paysagiste. Dans la lignée des impressionnistes français et de l’École de Barbizon, les artistes belges trouvent dans la peinture de plein air un souffle nouveau. Deux tendances dominantes coexistent. D’un côté, l’École de Tervueren incarnée par Hippolyte Boulenger. De l’autre, ceux attachés à la mer du Nord. À l’image de notre climat contrasté, toutes les audaces sont acceptées. Mais la forme ne se dissout pas autant que chez les Français. Nos peintres rendent les vibrations de la lumière tout en restant très attachés au sujet.

Bruxelles, incubateur d’idées nouvelles

La section suivante insiste sur le bouillonnement que traverse la Belgique à l’époque. Bénéficiant d’une position géographique stratégique et d’un contexte économique ultrafavorable, Bruxelles profite d’une effervescence culturelle sans pareille. Plaque tournante des avant-gardes européennes, la jeune capitale encourage les développements artistiques les plus audacieux et révolutionnaires. Dans ce contexte dynamique, des voies insoupçonnées sont exploitées. Autant d’initiatives encouragées par le Groupe des XX (1884-1893) et de La Libre Esthétique (1894-1914). Face à la sévérité du Salon de Bruxelles (officiel), une poignée d’artistes se réunissent pour exposer leurs oeuvres de manière indépendante. Doté d’une ouverture d’esprit incomparable, le Groupe des XX (relayé par La Libre Esthétique) accueille dans ses événements des confrères étrangers refusés dans les salons traditionnels. Leurs expositions annuelles deviennent rapidement des lieux de rencontre particulièrement féconds.

La visite se poursuit à travers l’évocation des thématiques. À Bruxelles comme à Paris, les thèmes traditionnels s’effacent au profit de sujets plus actuels. Avec efficacité, les Belges ont assimilé les leçons des impressionnistes français. Mieux, nos concitoyens vont plus loin ! Ils font preuve d’une indépendance rare dans l’évocation de la vie moderne. Ainsi, l’impressionnisme en Belgique se conjugue au pluriel. Georges Lemmen célèbre l’intimité quotidienne, Jan Toorop et Frans Smeers représentent les lieux de villégiature à la mode, Constantin Meunier et Eugène Laermans évoquent la classe ouvrière…

Un peu plus loin, on revient sur la réception de Georges Seurat en Belgique. Véritable manifeste pictural, son tableau intitulé Un dimanche après-midi à l’île de la Grande-Jatte – qui fait l’effet d’une bombe lors de sa présentation à Paris – est exposé en février 1887 au Salon des XX. D’emblée, les artistes belges s’enthousiasment pour la technique néo-impressionniste et commencent à  » pointiller « . La branche belge est alors assurée par Henry Van de Velde, Georges Lemmen, Georges Morren, Willy Finch et Théo Van Rysselberghe. Le mouvement se développe ici de manière singulière et relativement fournie, à la différence de la France où le néo-impressionnisme n’a jamais constitué un groupe stable et défini.

Émile Claus et le luminisme : la sagesse

Le parcours se focalise ensuite sur Emile Claus. Un pan entier de l’événement lui est consacré ! Cet artiste a préféré célébrer la permanence d’une campagne intacte et d’une vie rurale préindustrielle. Avec sa gamme chromatique ensoleillée et son goût si particulier pour la lumière, il développe l’une des expressions les plus originales de l’impressionnisme en Belgique. Une esthétique nouvelle et personnelle, faite de nuances de lumière et de couleurs claires, baptisée  » luminisme « . D’autres grands noms ne tarderont pas à rejoindre sa direction, notamment Georges Morren, Adrien-Joseph Heymans, James Ensor et Anna Boch. Regroupés autour d’Émile Claus, une poignée de peintres formeront une extension tardive de l’impressionnisme en constituant le cercle Vie et Lumière (1904). Soit un impressionnisme plus mature, à la forme assagie.

Bouclant la visite, l’histoire se finit à l’aube du XXe siècle. L’exposition consacrée en 1904, à Bruxelles, par La Libre Esthétique à l’impressionnisme français apparaît à la fois comme la confirmation du triomphe du mouvement mais aussi comme le chant du cygne de cette tendance novatrice qui s’est épanouie durant les deux décennies précédentes. La scène artistique s’ouvre alors à de nouvelles expériences esthétiques. Rik Wouters, Jos Albert et Auguste Oleffe indiquent la voie du fauvisme, James Ensor s’aventure aux confins de l’expressionnisme.

Et si on reconnaît sans mal que la France est bien le berceau du mouvement impressionniste, cette exposition-ci prouve que le courant a trouvé chez nous ses développements les plus singuliers, les plus inattendus. On en ressort avec les chevilles quelque peu enflées… Comprenez : bourré de fierté. Il serait dommage de s’en priver !

Bruxelles, une capitale impressionniste, Musée des impressionnismes, à Giverny (France). Jusqu’au 2 novembre. www.mdig.fr

Par Gwennaëlle Gribaumont

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