Téléphones portables, écrans plats, crèmes solaires, sel de table… Les nanoparticules entrent en force dans notre quotidien. Si elles constituent un enjeu économique majeur, elles suscitent aussi bien des inquiétudes.
Elles envahissent notre vie. On en trouve dans les cosmétiques, l’alimentation, l’électronique… Invisibles au microscope, les nanoparticules sont en train de bouleverser notre quotidien. Les industriels qui les utilisent ne sont pas (encore) tenus de les déclarer. De quoi susciter la polémique. Leurs partisans annoncent une nouvelle révolution pour l’humanité, leurs détracteurs des catastrophes sanitaires. Des nanoparticules de dioxyde de titane se cachent dans les crèmes solaires, les cosmétiques et certains produits alimentaires. Des nanoparticules d’oxyde de zinc se retrouvent dans les enduits extérieurs, les peintures et les vernis d’ameublement. Des nanoparticules d’oxyde de cérium interviennent comme catalyseurs pour les carburants. Les premiers secteurs concernés sont les soins, la santé, ainsi que les accessoires de sport, l’électronique et le matériel informatique. Ces nanomatériaux rendent les produits plus légers, plus résistants. De la nanoélectronique à la biotechnologie, de l’exploration spatiale à la pétrochimie, les possibilités sont énormes. Ce marché porteur avoisinerait déjà les 750 milliards d’euros dans le monde. Ces dernières années, les fonds dégagés par divers Etats pour alimenter la recherche prouvent à suffisance que les nanotechnologies représentent un enjeu économique majeur. » Ma conviction de vieux chercheur est que la révolution des nanomatériaux sera aussi grande, si pas plus, que la révolution informatique, assure Guy Fryns, directeur du Sirris, le centre de recherche pour l’industrie technologique belge. Songeons que quelques fifrelins de matière augmentent jusqu’à cent fois les propriétés mécaniques ou de frottement de la matière. «
Un zinc transparent à la lumière
En Belgique, les nanos avancent à pas de géant. Dans le cadre du pôle de compétitivité Mitech du plan Marshall, la Wallonie et Bruxelles ont créé Nanowall, un réseau dédié aux nanotechnologies. Il regroupe essentiellement des PME. Son objectif est de créer une plate-forme unique en Europe dans le domaine de la synthèse des nanopoudres. » Dans le cadre du plan Marshall, nous travaillons à la mise au point d’une machine qui permettra de fabriquer des nanopoudres, confirme Guy Fryns. Nous collaborons essentiellement avec Technord, Aseptic Technologies et d’autres sociétés réunies au sein de la SA Nanopôle créée dans cet objectif. » Le holding public financier Meusinvest participe à l’actionnariat à hauteur de 31 %. Preuve de l’intérêt des pouvoirs publics pour les nanotechnologies. » C’est très important de nous trouver dans ce secteur d’avenir « , souligne Hugues Danze, responsable de la communication de Meusinvest. Le Sirris est en train de développer un laboratoire spécifique de mesure de la qualité des nanopoudres. Il s’agira du premier labo du genre en Wallonie et l’un des premiers en Europe. Pour le centre de recherche, le grand défi consiste à mettre au point un équipement qui permette de fabriquer des nanopoudres consistantes et reproductibles. » Jusqu’à présent, nous avons réussi à en produire deux, précise Guy Fryns. Nous cherchons les moyens de faire passer ces poudres dans des objets et sur des surfaces. » Le Sirris croule sous les demandes de secteurs comme la pharmacie, la chimie ou la sidérurgie. » Les grandes entreprises se sont déjà aperçus que l’ajout de quelques nanopoudres allait augmenter de manière faramineuse les propriétés de leurs matières. » La phase d’industrialisation devrait commencer dans les deux ans. » Nous aurons alors mis au point plusieurs types de machines, dont une spécialisée dans le métal et une autre pour les céramiques et les alliages, poursuit Guy Fryns. Ensuite, il s’agira de réaliser du packaging. La poudre sortira en solution dans des emballages particuliers, comme en virologie. » Il ne restera plus qu’à la placer dans les matières pour leur donner des propriétés mirobolantes. » En choisissant une bonne dimension de nanopoudre correspondant à certaines longueurs d’onde, on pourrait rendre un zinc transparent à la lumière ! s’enthousiasme le directeur du Sirris. Des nanopoudres naturelles comme des argiles pourraient entrer dans la composition de cosmétiques. D’autres pourraient être accrochées à des cellules pour leur donner certaines propriétés. On est en train de passer à une nouvelle échelle de travail. Auparavant, on travaillait du macro vers le micro. Demain, on partira du nano vers le macro. Le nano va nous permettre de créer, molécule par molécule, des objets macros de plus en plus intelligents et sophistiqués. «
Nanocyl s’y emploie, elle aussi. Leader mondial des nanotubes de carbone, l’entreprise de Sambreville se consacre à ces minuscules cylindres d’un millionième de millimètre aux propriétés spécifiques de résistance et de conductivité. Ils s’utilisent en infimes quantités dans d’autres matériaux pour leur conférer leurs propriétés. Nanocyl fournit de grandes entreprises spécialisées dans la chimie et l’électronique. » Il n’existe pas de telles entreprises en Belgique, remarque Francis Massin, directeur de Nanocyl. Nous travaillons à 99,9 % à l’exportation essentiellement vers l’Europe et l’Asie, Nous venons de recevoir l’agréation pour pouvoir exporter nos nanotubes de carbone sur le marché américain. «
Les nanos passent partout
L’enthousiasme des scientifiques et des entrepreneurs se heurte au scepticisme, voire à l’inquiétude, des associations de protection de l’environnement. Dans un rapport sur les nanos dans le secteur de l’alimentation, Les Amis de la Terre pointent que » les implications pour la santé des techniques de transformations des aliments qui produisent des nanoparticules et des nano-émulsions, justifient l’attention du législateur « . Les nanos industrielles se retrouvent déjà dans certains de nos aliments, dans les emballages, le stockage et l’agriculture. » Une des premières applications commerciales des nanotechnologies dans le secteur alimentaire est le conditionnement. Actuellement, on estime qu’entre 400 et 500 nano-produits emballages sont commercialisés. » Aucun étiquetage ne le signale. » Le dioxyde de titane est inerte sous sa forme habituelle et on l’utilise comme additif alimentaire. Pourtant, des expériences in vitro montrent que des nanoparticules ou des particules de dioxyde de titane jusqu’à une taille de quelques centaines de nanomètres endommagent l’ADN, perturbent les fonctions cellulaires, interfèrent avec les activités de défense des cellules immunitaires et, en absorbant des bactéries et en les faisant passer « en fraude » dans le système digestif, provoquent des inflammations « , dit-on encore aux Amis de la Terre.
Les nouvelles nanoparticules possèdent des propriétés particulières que la matière n’a pas dans d’autres dimensions. Elles sont plus réactives que leurs homologues de taille supérieure. Elles pénètrent plus facilement dans les organismes. Ce qui peut perturber les réponses immunitaires et avoir des effets pathologiques à long terme. Leur plus grande capacité d’absorption peut provoquer de nouveaux risques de toxicité. Pour Dominique Lison, professeur de toxicologie à l’UCL, des effets biologiques différents sont donc à craindre. » En toxicologie, nous sommes dotés d’outils pour détecter les effets néfastes que ces nanoparticules pourraient exercer, le problème est de les analyser toutes, résume-t-il. Actuellement, la toxicologie des nanotubes de carbone commence à être bien maîtrisée. Mais la tâche est immense. Selon moi, le problème essentiel est de pouvoir mesurer l’exposition, la quantité de ces nanoparticules dans l’alimentation, l’eau et l’air pour relier la dose avec les effets sur la santé. De gros développements techniques doivent être faits pour développer des systèmes de mesure de l’exposition suffisamment fiables. On n’y est pas encore. «
Guy Fryns reconnaît que les nanopoudres en sont à leurs balbutiements et qu’une partie d’entre elles sera toxique. » Nous en sommes conscients et soucieux. Cependant, j’y vois un avantage. A partir du moment où l’on sait que certaines nanopoudres peuvent être dangereuses, on y travaille avec le principe de précaution extrême. » Pour Francis Massin, de Nanocyl, le risque est lié à l’exposition et ce n’est pas le cas avec les nanotubes. » Ils sont mélangés à des matrices et finissent comme additifs dans les matériaux. Au moment de leur fabrication, nous prenons les mesures nécessaires. Nous avons dépensé 300 000 euros pour déterminer si le nanotube était potentiellement toxique par inhalation. Dans l’air de l’atelier, il est pratiquement impossible d’atteindre la concentration qui pourrait représenter un danger. Et pour le grand public, il n’y en a pas. «
Légiférer d’abord
Jusqu’à présent, les industriels n’ont pas d’obligation de déclaration sur la nature de leurs nanos, ni sur leur utilisation. Que faire ? Pour les associations environnementales, la réponse tient en un mot : moratoire. » C’est encore une fois une nouveauté de la technologie qui se retrouve dans l’industrie sans que personne ait jugé de ses effets pour l’environnement et pour la santé et, surtout, sans aucune législation, sans aucune règle, regrette Marc Fichers, secrétaire général de Nature & Progrès. Un encadrement législatif est indispensable. » Mais cela bouge. La preuve avec le nouveau Règlement européen « Cosmétiques » (voté le 24 mars 2009 au Parlement européen) qui imposera, dès juillet 2013, la mention » nano » sur les étiquettes. En Belgique, les pouvoirs politiques se sont saisis de la question pour légiférer. D’ici là, prudence donc avant de vivre dans le meilleur des nano-mondes.
En savoir plus sur les nanotechnologies sur www. leVIF.BE
JACQUELINE REMITS