Nafissatou Diallo  » Je ne voulais pas perdre mon travail « 

La femme de chambre qui accuse Dominique Strauss-Kahn de viol donne ses premières interviews. Une étape décisive de la stratégie médiatique de son avocat.

CORRESPONDANCE

Il me tenait la tête entre ses mains et gémissait. Je ne voulais surtout pas risquer de perdre mon travail.  » Nafissatou Diallo parle. Après Tristane Banon en France, la victime présumée de  » l’affaire DSK  » est sortie du silence, lundi 25 juillet, aux Etats-Unis. Pour ses premières déclarations publiques, son avocat frappe un grand coup : un reportage de Good Morning America, l’émission phare de la chaîne ABC, où elle apparaît en  » mère courage « , et la Une de Newsweek. Kenneth Thompson fait poser sa cliente dans son bureau. La tête légèrement tournée, les yeux baissés, une photo d’elle en pleine page du magazine lui donne des airs de madone. Brisée et humiliée, elle raconte en détail l’agression sexuelle dont elle accuse Dominique Strauss-Kahn et son dégoût de voir son cauchemar se retourner contre elle.  » A cause de lui, on me traite de prostituée. Je veux qu’il aille en prison. Je veux qu’il sache qu’il y a des endroits où vous ne pouvez pas utiliser votre pouvoir, où vous ne pouvez pas utiliser votre argent.  »

Cinglant, un communiqué des avocats de Dominique Strauss-Kahn, William Taylor et Benjamin Brafman, a fusé à la veille de ces interviews.  » Mme Diallo est la première plaignante de l’histoire à faire campagne dans les médias pour que le procureur poursuive les charges contre une personne dont elle veut de l’argent. Il est temps que ce cirque indécent s’arrête.  » Dans la bataille de l’opinion publique, Kenneth Thompson, qui se présente comme le valeureux protecteur de la veuve Diallo, n’a rien à envier à Benjamin Brafman et aux fidèles communicants d’Euro RSCG, venus à la rescousse de l’ancien patron du FMI en pleine tourmente judiciaire à New York. Très bon orateur, Kenneth Thompson l’a prouvé à la sortie du tribunal, le 1er juillet, à l’occasion de la libération sur parole de DSK. Pendant plus de trente minutes, tel un tribun, il avait étalé sur la place publique les sévices subis selon lui par sa cliente, sa déchirure ligamentaire à l’épaule, mais aussi ses sous-vêtements déchirés et les bleus au vagin.

L’accusation joue de la fibre raciale et communautaire

En joueur d’échecs habile, l’avocat a ensuite avancé ses pions, se servant des lobbies pour faire pression sur le procureur de Manhattan, Cyrus Vance. D’abord en demandant, début juillet, par l’intermédiaire de l’association  » 100 Noirs des forces de l’ordre qui s’impliquent « , que le cas soit confié à un autre procureur, accusant Cyrus Vance d’avoir orchestré des fuites nuisant à la réputation de l’accusatrice. Kenneth Thompson a ensuite lâché ses troupes, une coalition hétéroclite d’organisations noires, féminines, religieuses, sous la houlette d’un sénateur d’Harlem, Bill Perkins. Jouant de la fibre raciale et communautariste, ils ont enjoint le procureur de permettre à la plaignante – une  » s£ur « , selon leur expression – d’avoir droit à un procès.  » Il nous a entendus « , déclarait pompeusement Bill Perkins, lors d’une manifestation peu fournie, le 17 juillet.

En livrant Nafissatou Diallo à visage découvert, Kenneth Thompson est-il allé trop loin ? Ses relations avec le bureau du procureur, notamment avec son n° 2, Daniel Alonso, sont au plus mal, alors que les deux hommes ont partagé, étudiants, les bancs de la fac de droit de New York. Longtemps considéré comme l’avocat des causes justes, Thompson doit affronter les associations féminines, qui dénoncent une instrumentalisation de la victime présumée, contraire à ses intérêts. Impuissant lors du procès au criminel, où le ministère public instruit le cas, Kenneth Thompson, dont le bureau brasserait plusieurs millions de dollars par mois, viserait déjà plus loin : une victoire rémunératrice lors d’un éventuel procès civil.

STÉPHANIE FONTENOY

 » Je veux qu’il aille en prison. Je veux qu’il sache qu’il y a des endroits où vous ne pouvez pas utiliser votre pouvoir « 

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