Guillaume Vierset © philippe cornet

Musiciens en campagne

Quitter la ville pour la supposée quiétude de la campagne, chant du coq compris? C’est aussi vieux que Woodstock, la ville de l’état de New York accueillant les artistes dès la fin du XIXe siècle. La Belgique et ses relativement modestes distances kilométriques paraissent comme une incitation à se désurbaniser, à se donner de l’espace et du temps. à vivre tout en créant. Ce qu’ont expérimenté six artistes qui ont pris la clé des champs.

Guillaume Vierset

Il habite Orp-le-Grand, le Brabant wallon plat comme une limande. Ou comme les champs à trois minutes de son domicile. « Trente-cinq minutes de Bruxelles en bagnole, une heure trente aux heures de pointe. » Dans sa grande maison villageoise, le jeune guitariste jazz et rock – il joue avec Sharko et explore le post-be bop – grandit sur les hauteurs de Huy. L’actuel trentenaire réside à Bruxelles entre 2005 et 2018. « J’habitais un moment à Auderghem et pour aller en concert à Forest, j’en avais pour trente minutes et trois fois plus en fin de journée… Dingue et triste réalité. Quand tu es musicien et que tu dois décharger ton matos en double file au milieu de la nuit, monter tout aux étages, c’est vraiment l’enfer! Ici, comme guitariste, rien à voir. Et je peux travailler l’ampli pas toujours à des heures raisonnables. Il n’était pas imaginable de faire grandir mes deux enfants sans jardin. Ce qui, au vu du prix des maisons à Bruxelles, semblait impossible. Aujourd’hui, je suis sans doute plus casanier mais plus apaisé, y compris dans la création musicale. »

Daan
Daan© philippe cornet

Daan

Le Daan est déménageur: outre une maison ardennaise aujourd’hui revendue, le Bekende Vlaming est passé, depuis la fin des années 1990, d’un immeuble à Berchem près d’Anvers à un appart en maison de maître face au parc Josaphat, partant ensuite d’une large arrière-maison ixelloise à son actuel domicile. Un vaste logis au sud de Bruxelles, proche des champs et des chevaux. Huit ans après son déménagement dans ce coin champêtre flamand, Daan s’explique: « A Bruxelles, je sortais tous les soirs, avec ce que cela implique. J’étais dans une période où mes sens fonctionnaient tout le temps, à fond. Et puis, dans mon dernier logement, il y avait trop de klaxons, trop de bruits pas naturels. » Daan Stuyven a grandi pas loin de Leuven, proche des bois où il se faisait, gamin, des masses de voyages imaginaires. « J’avais une véritable insouciance: parfois, je m’entends mieux avec les animaux qu’avec les gens. Et là, dans cet endroit, j’ai trouvé une page blanche qui m’était devenue nécessaire… »

Julie Oz
Julie Oz© philippe cornet

Jeronimo

« Cela va faire neuf ans que je suis revenu dans la commune de Crisnée, au village où j’ai passé mon enfance. » Jeronimo, alias Jérôme Mardaga, adulte, s’est au fil du temps posé à Bruxelles, Liège, Namur, Nancy et même un peu à Montréal.  » La quarantaine est l’âge de ce que l’on pourrait appeler le « recentrage », le fait de retrouver ses murs et de faire le genre de bilan tout à fait inutile », dit-il en souriant. Jeronimo habite un bout de ferme spacieux, avec sa compagne. Dans quel esprit? « Je trouve ici une certaine lenteur et la possibilité d’observer l’horizon: de ma terrasse, point culminant du village après le château d’eau, je vois à vingt ou trente kilomètres, à 360 degrés. » A quinze bornes de Liège, le chanteur-compositeur protéiforme – il a aussi son projet électronique Thamel – profite un max: « Je suis un garçon de village qui, par son travail, a eu la chance de s’épanouir dans des grandes villes magnétiques et de connaître la campagne, l’endroit où j’ai le plus souvent élaboré mes musiques. »

Saule
Saule© isabelle lennertz

Julie Oz

« Ici, la temporalité est différente. Des amis musiciens passent et restent deux ou trois jours, on travaille et ils logent sur place. Si on veut, on peut jouer toute la nuit. » Dans une belle ancienne maison du Brabant wallon, sur une place face à l’église qui n’a sans doute pas fondamentalement changé depuis un siècle, la chanteuse-compositrice Julie Oz sert un verre de Prosecco. Cuisinière antique, cheminée plantureuse, jardin en bataille: l’endroit a du chien. Elle a beaucoup vécu à Bruxelles, entourée d’une famille musicale dispersée jusqu’à Dinant. « Jusqu’il y a dix ans, je vivais avec mon compagnon scénographe dans une maison assez petite à Bruxelles et ici, c’est plus facile de créer notre petite bulle, de s’extraire du brouhaha. La nature m’inspire beaucoup. Mes idées s’y mettent en place, tout s’y cristallise. Je suis très contemplative et j’ai besoin d’un certain silence. Ma musique a sans nul doute changé depuis que j’ai quitté Bruxelles. »

Lisza
Lisza© philippe cornet

Saule

« Mon pseudo n’est pas innocent puisque dans mon écriture, j’ai toujours aspiré à la nature. Né à Mons, j’ai un peu vécu à la campagne de mes 14 à mes 20 ans, puis je suis monté à Bruxelles. De Schaerbeek à Boitsfort, je suis resté citadin pendant une quinzaine d’années. » Après une séparation, Saule passe un an à « essayer » de vivre à Uccle, où sont scolarisés ses deux enfants. Le confinement survient et la nouvelle histoire d’amour, arlonaise, bat l’appel de la campagne. L’envie d’être au vert mène Saule et cie dans le cul-de-sac d’un village gaumais, loin du stress bruxellois, ses névrotiques embouteillages « et ses marteaux piqueurs à trois heures du matin ». « Le confinement m’a fait prendre conscience de la réalité dans laquelle j’étais enfermé, puisqu’il n’y avait plus de voyages ou de résidences artistiques. Là, je suis à deux heures en bagnole de Bruxelles, où je ne dois pas aller tous les jours. Et avec le Thalys, à Luxembourg, à une heure et demie de Paris. Ici, c’est la grande quiétude, les temps de repos sont vrais. »

Jeronimo
Jeronimo© philippe cornet

Lisza

Lisza est navetteuse. Elle a grandi en Brabant wallon, une (semi-)campagne vertébrale, habitat groupé « idyllique », proche de Wavre. Elle y a passé l’essentiel du second confinement, à la suite d’ une rupture amoureuse au printemps 2021. « Cette maison est celle de mon enfance, et au deuxième Covid, j’y ai alors vécu seule avec mon berger australien (un chien…), ma mère étant chez son compagnon. J’ai eu besoin de cet endroit et j’ai été privilégiée de pouvoir y aller. Dans un esprit de retour aux sources, de grandes balades dès le matin en forêt, d’une âme que je retrouvais. Cela m’a permis de me détacher de Bruxelles et du masque. Et d’écrire énormément. » Depuis l’été 2021, Lisza s’est trouvée un logement à Forest, mais sa destination BW reste comme un pivot organique, qu’elle revisitera sans doute périodiquement en inévitable connexion sentimentale. « Un élan de vie pour quitter l’ambiance mortifère, le luxe inouï de renouer avec l’horizon. Ce que l’on devrait tous avoir, une tanière. »

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