Mossa aimait la femme. Qui l’effrayait

Guy Gilsoul Journaliste

Une première en Belgique pour l’ouvre longtemps gardée secrète du Niçois Gustav-Adolf Mossa, imagier décalé du décadentisme.

Elle s’appelle Valentine. Elle est belle, élégante, riche. Elle aime les soirées, les plus belles robes à la mode de Paris, les chapeaux extravagants et les soirées mondaines. Gustav-Adolf Mossa (1883-1971) l’aime et elle se joue de lui. Alors, à la façon d’un exorcisme, il va la massacrer avec ses crayons habiles et ses pinceaux un peu lourds. Pour elle, il imagine un décor de neige, un ciel glauque et, à l’horizon, un bois sacré d’où sort une procession aux flambeaux vengeurs. Il la couche. Elle se couche, lascive. La mort s’approche. Un premier squelette encapuchonné tient un brasero aux allures de châsse gothique. A ses côtés, un autre, tenant une torche au bout d’une pince qu’il tient fermement, soulève la robe pour y mettre le feu. Un troisième, agenouillé auprès du visage ciselé avec amour, enfonce une torche enflammée dans l’£il de la séductrice endormie. La flamme jaillit comme le sang des sacrifiés aztèques. Le prince charmant ne viendra pas sauver la belle du conte de fées. Il se venge. Et comme pour attiser encore sa vengeance, le peintre fixe une véritable perle à l’un des doigts si fins (si vulnérables) de Valentine. A l’avant-plan, il peint des pièces d’or éparses, puis, dessous, écrit dans la couleur quelques lignes d’un poème de Baudelaire : Une charogne. Des années plus tard, l’£uvre entra dans la collection belge du couple Gillion-Crowet qui la protégea par une vitre anti-reflet dont l’effet accentue encore le silence mat et implacable de la scène. En 1906, quand Mossa imagina ce qui est peut-être son chef-d’£uvre, il avait 23 ans.

Un art  » décalé « 

Oui, Mossa aimait la femme. Et celle-ci l’effrayait. Comme Baudelaire et Barbey d’Aurevilly dont les textes l’inspirent, comme Félicien Rops auquel il emprunte plus d’une thématique, il la voit en Salomé, Judith, Dalila, Hérodias. Belle, séductrice, violente. Elle parcourt l’£uvre entière mais, à la différence des symbolistes, Moss exprime son  » décadentisme  » de façon plus bruyante. En cause, l’excès de figures, d’ornements et de tracés multiples alimenté par la dextérité du dessinateur et la gourmandise de son imaginaire. On y voit, en grand ou en tout petit, au c£ur de la scène ou à l’écart, des têtes de mort, des serpents, des oiseaux noirs, des décors byzantins et même quelques f£tus en bocal ou en liberté dans le rôle d’Eros. On y croise les prostituées et les vieux avides, les communiantes immaculées caressant cierges peu catholiques, les trois Parques et un Pierrot androgyne. Dans un autoportrait, Mossa porte robe. Dans un autre, il s’entoure de sang et d’insectes égyptiens. Ses réussites sont graphiques, presque trop faciles, sa peinture, médiocre le plus souvent, relève davantage du coloriage. Mais les compositions intriguent. Comme le destin du peintre. Celui d’un garçon de bonne famille, protégé, encouragé jusque dans ses fantasmes. L’£uvre, réalisée entre 1904 et 1914, connaît le succès jusqu’à Paris. Mais, quelques années plus tard, le dessinateur succède à son père comme conservateur du musée de Nice. Jusqu’à sa mort, en 1971, il gommera son passé. Huit ans plus tard, l’£uvre sort de l’ombre.

L’£uvre secrète de Gustav-Adolf Mossa, musée Rops, 12, rue Fumal, à Namur. Jusqu’au 16 mai. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. www.museerops.be

GUY GILSOUL

Des compositions intrigantes à l’instar du destin du peintre

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