Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

Montée de tension

Où Paula, pour parer à la pénurie de courant, fait sprinter ses clients sur un parquet cinétique de son invention, alors que le Premier ministre français vient tenter sa chance à Bruxelles.

Dans le Geyser, lorsque le Français entra, une brume bleue brouillait les perspectives. Il faisait si froid que les gens se serraient les uns contre les autres, afin d’offrir moins de prise au vent. Il faisait si froid que quelqu’un disait avoir trouvé un oeuf de mammouth près du ring. Il faisait si froid que le vieil Heinrich, l’homme à tout faire, avait chopé une écuelle tremblante qu’il avait placée sous son nez gouttant. Dans un coin, des clients se disputaient une chandelle, en crachotant et en éternuant. Soudain, un coup de sifflet retentit très fort. Le Français sursauta. Un hurlement suivit :  » Z’est l’heure ! Mettez vos patins, bitte ! Schnell !  »  » Et voilà… Albert est encore revenu dans la tête de Paula « , soupira Heinrich, toujours irrité par les soudaines apparitions d’Einstein dont l’esprit prenait régulièrement d’assaut le corps de la serveuse. Sans chichis, cette dernière mit une pièce dans le juke-box. Elle vérifia les pieds des clients et monta à son comptoir, comme à une tour de guet. Une chanson de Véronique et Davina emplissait désormais le café. Paula avisa le nouveau venu qui tenait une affiche électorale de lui-même roulée sous le bras :  » Ja, fous auzi, les patins ! Z’est pour la Elektrizität, ja ? Z’est un parquet kinétique !  »

Edouard Philippe, (puisque c’était lui) extirpa aussitôt de sa malle élégante des chaussons brodés de ses initiales. C’était un vétilleux qui ne plaisantait jamais avec les patins et les parquets cirés, cinétiques ou non. Si l’injonction de l' » Allemande  » lui semblait un brin arbitraire, il se plia néanmoins aux moeurs qu’il imaginait locales. S’il voulait faire de la politique ici, comme Valls à Barcelone, il allait bien falloir qu’il s’intègre, et même, peut-être, manger du waterzooi. Comme les autres, il se mit donc à courir dans le café. Pour encourager les sprinteurs, Lorelei, l’autre serveuse, s’était assise avec grâce sur le flipper, et peignait, comme d’habitude, ses cheveux dorés, avec de beaux gestes alanguis, en accompagnant Gym Tonic de sa voix de sirène. Mais malgré tout ça, partout, dans le café, on couchait les épuisés, on les remettait d’aplomb avec un schnaps et une mandale, avant de les relancer en piste.

De son côté, vif, racé, le jarret puissant, les yeux mi-clos dans l’effort, comme une antilope lancée au galop, le Premier ministre français n’avait même pas le souffle court.  » Comment qu’il fait, ce con-là ?  » qu’il maugréait, Heinrich. Le ministre, qui continuait de tournicoter frénétiquement sur le parquet, s’expliqua :  » La politique, c’est une affaire de mouvements : les migrants ne doivent pas passer les frontières, le président dépasse toutes les bornes et les chômeurs ne traversent pas assez la rue. Alors, moi aussi, je bouge. J’y suis, j’y reste.  »  » Tu bouges ou tu restes ? lança Heinrich. Faudrait savoir. Au fait, il y a du waterzooi, au menu, ce soir. « 

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film, qui va démarrer à 20h15, sur la Une…

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