MONICA DE CONINCK » Il faut plus de flexibilité «
La ministre socialiste de l’Emploi secouerait volontiers les pesants cocotiers qui encombrent le marché du travail. Pour elle, le chômage n’est pas une fatalité et la flexibilité n’a pas qu’une connotation négative.
Engrangé, le statut unique, qui met fin à des années de distinction entre ouvriers et employés. Reste à finaliser cet accord dans les textes. » Il s’agit d’être pragmatique et de préparer l’avenir « , lance Monica De Coninck, ministre SP.A de l’Emploi. Interview.
Le Vif/L’Express : Quels sont les projets sur lesquels vous souhaiteriez encore avancer d’ici aux élections de 2014 ?
Monica De Coninck : Entre autres projets, j’aimerais rendre plus flexible le retour au travail de personnes victimes de maladies ou d’accidents. Entre la catégorie des » 100 % aptes » et la catégorie » invalides « , je souhaiterais créer d’autres formules plus souples. Je voudrais aussi que les médecins-conseils se prononcent plutôt sur ce que ces patients sont encore capables de faire plutôt que sur leurs limites. Cette approche par la négative n’est pas porteuse et débouche souvent sur le renoncement total au travail.
Le chômage des jeunes reste un gros point noir…
Oui. Il faut pour eux, y compris pour les peu scolarisés, un accompagnement beaucoup plus individualisé, ce que j’appelle un coaching haute couture. Dans 75 % des cas, il est possible de trouver une solution positive pour eux.
Vous avez déclaré il y a quelques mois, et le propos avait fait grand bruit, qu’il y avait de l’emploi pour tout le monde. Le diriez-vous encore aujourd’hui ?
Oui, je le redirais. Dans les dix prochaines années, environ 500 000 personnes vont partir en pension, en Belgique. Il est donc urgent d’investir dans la formation et l’éducation pour s’assurer qu’un maximum des 18-60 ans soient au travail. Sinon, dans quatre ou cinq ans, nous aurons de gros soucis pour trouver des travailleurs.
En matière de création d’emplois, il y a des opportunités mais il faut les saisir. Dans les villes, l’état des maisons et leurs performances énergétiques laissent souvent à désirer. Pourquoi ne pas lancer un vaste projet de rénovation de ces logements ? Ce n’est pas simple car un projet comme celui-là dépendrait de différents niveaux de pouvoir. Il serait plus efficace de négocier ensemble les objectifs à atteindre, puis de travailler chacun avec sa casquette. Nous venons d’obtenir 120 millions d’euros de l’Europe pour financer l’activation des jeunes sans emploi. C’est un début. Ce que je demande, c’est plus de créativité et de volonté de travailler ensemble. A Anvers, l’ancien bourgmestre Patrick Janssens a imposé à tout le monde de collaborer. Ce n’était pas évident. Mais nous avions un plan global pour la ville, à laquelle chacun devait participer.
Est-ce une surprise, pour vous, de découvrir combien il est difficile de faire travailler ensemble des niveaux de pouvoirs différents ?
Je n’étais pas naïve en arrivant au gouvernement fédéral. Mais j’estime que maintenant que la 6e réforme de l’Etat est bouclée, il est temps de travailler sur les objectifs et non plus sur les structures. Celles-ci ne doivent être qu’un instrument au service d’une politique.
Quels sont les obstacles auxquels vous êtes confrontée dans la politique de l’emploi que vous souhaitez mettre en place ?
La législation en matière d’emploi est très compliquée et peu transparente. Depuis deux ans, nous l’améliorons, entre autres, avec l’ONEM (Office national de l’emploi) et le Conseil national du travail. Je voudrais, par exemple, que des parents séparés qui ont la garde de leurs enfants une semaine sur deux puissent travailler moins quand ils ont leur progéniture avec eux et plus la semaine suivante, pour compenser. Idem pour des jardiniers qui auront davantage de travail l’été et moins l’hiver. Je trouve qu’il y a beaucoup trop peu de créativité sur le marché du travail. Je crois que c’est dû au fait que la flexibilité a une connotation négative pour certains.
Vous pensez aux syndicats ?
Pas seulement. Les syndicats avaient peur de moi, au début mais ce n’est plus le cas. Cela dit, il y a aussi des patrons qui, en termes de flexibilité, ne sont pas corrects avec leur personnel. J’ai par contre une profonde estime pour les employeurs qui prennent des risques et qui respectent leurs collaborateurs. Je suis convaincue qu’on doit aussi aider les patrons. Parce que ma grande peur, c’est qu’on divise le marché du travail en deux, avec, d’un côté des emplois mal payés pour les jeunes, les handicapés ou les femmes, et de l’autre, des emplois valorisés. C’est pour ça que je suis opposée aux mini-jobs, comme en Allemagne, auxquels ne sont pas attachés de droits sociaux. Le risque, c’est que les employeurs coupent les emplois classiques en deux, pour obtenir deux mini-jobs qui leur coûteront moins cher. Quelqu’un qui travaille doit pouvoir vivre décemment de son revenu mensuel.
Vous avez évoqué jadis la possibilité de créer une filière particulière pour les demandeurs d’emploi difficilement réinsérables sur le marché du travail. Où en est ce projet ?
C’est un sujet très difficile à aborder dans le milieu politique, mais il reviendra sur la table. Certains ont peur d’une stigmatisation de ces demandeurs d’emploi particuliers. Ce que je veux, au contraire, c’est leur offrir une solution. Selon moi, ce n’en est pas une de leur accorder une allocation mois après mois, sans plus. Les acteurs de terrain, dont les CPAS, par exemple, savent bien, eux, qu’il y a, parmi les chômeurs, environ 25 % de gens qui n’ont pas ou plus les compétences pour entrer dans le circuit du travail classique. Pour la moitié d’entre eux, une solution peut être trouvée, à condition de leur créer des postes presque taillés sur mesure, en termes d’horaires de travail et de compétences requises. C’est essentiel pour eux, que ce soit pour la confiance en soi ou les contacts sociaux.
Le maintien au travail des travailleurs les plus âgés continue à poser problème. Quelles sont vos pistes ?
Je rêve d’un système où les travailleurs gagneraient chaque année un certain nombre de jours qu’ils pourraient cumuler et utiliser quand et comme ils le voudraient : pour élever des enfants, pour un projet personnel, ou pour prendre sa pension un peu plus tôt. Je crois que l’on doit aussi réfléchir à la progression des salaires dans le temps. Chez nous, plus on est âgé et plus le salaire augmente. En Scandinavie, il augmente plus vite quand on est jeune puis il se stabilise. Du coup, les employeurs ne se séparent pas des plus âgés. Mais passer à un système comme celui-là coûterait évidemment cher, durant la période de transition. On devrait aussi, en fin de carrière, pouvoir opter pour un travail moins lourd, avec un salaire moindre. En Flandre, il est impossible à un directeur d’école de choisir de redevenir professeur en fin de carrière, avec une rémunération réduite. Sauf s’il démissionne et recommence une carrière d’enseignant, avec une ancienneté zéro. Ce n’est pas normal.
Ces différents chantiers ne pourront se concrétiser rapidement…
Non, mais je prépare le terrain. On ne peut plus avoir le modèle linéaire de parcours professionnel d’avant. Aujourd’hui, des hommes deviennent pères à 55 ans. D’autres veulent faire des pauses dans leur parcours d’emploi. Il faut plus de flexibilité pour allier la vie professionnelle et la vie privée. Mais certains ont besoin de repères stables qui ne changent pas au fil du temps. D’eux, il faut aussi tenir compte.
Vous rempileriez à l’Emploi après 2014 ?
Ce sera au président du SP.A de le décider. J’aurai 58 ans l’an prochain. J’aime faire des choses difficiles. Mais il me faut du concret. Je ne suis pas une politicienne qui fait du pouvoir un but en soi. Je n’aime pas le show non plus.
Entretien : Laurence van Ruymbeke
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