» Mon cri est celui d’un oiseau… »

Je m’appelle Zeena, j’ai 4 ans. Mon cri est celui d’un oiseau, même si aucun oiseau ne le connaît. C’est un bruit qu’on entend de loin. Personne n’est au courant, sauf Zainab, ma grande s£ur. Quand Zainab est très loin, je fais le cri. Elle l’entend toujours et elle sait que c’est moi.

Je n’ose pas crier. Il s’est passé quelque chose. Il y a eu des explosions terribles qui ont cassé les vitres de la voiture et la tête de papa, puis celle de grand-mère. Du sang a coulé. Je me suis cachée entre les jambes de maman. Au début, je ne savais pas si c’était elle qui tremblait si fort ou moi, mais après, il y a eu un choc et j’ai su que le tremblement venait de moi, parce que de maman il ne venait plus rien.

Zainab est sortie de la voiture et on lui a fait mal. Je l’ai entendue pleurer, puis il y a eu un coup et je ne l’ai plus entendue. Ensuite, le silence a commencé. Je suis ici depuis très longtemps. Est-ce que c’est la nuit ? Sous la jupe de maman, il fait noir. Au début, j’avais chaud ; ensuite, les jambes de maman sont devenues froides. Je suis contente de ne pas être un bébé kangourou, sinon je grelotterais dans sa poche.

***

Je m’appelle Zainab, j’ai 7 ans. Papa m’a expliqué qu’à la guerre il y a des gens qui se sont sauvés en faisant semblant d’être morts : les soldats croyaient qu’ils étaient déjà tués. Quand papa m’a raconté cette histoire, j’ai senti un très grand plaisir, je ne sais pas pourquoi. La nuit suivante, j’ai imaginé que je faisais semblant d’être morte dans une bataille. J’étais la seule vivante mais je ne bougeais pas. Les ennemis marchaient sur moi mais je ne réagissais pas, comme si j’étais déjà tuée. Il y a eu de nouveau ce très grand plaisir. C’était bizarre. Maintenant, ça se passe en vrai. Papa, maman et grand-mère sont morts. Zeena, je ne sais pas. Moi, je pense que je suis vivante parce que j’ai tellement mal à l’épaule et à la tête. Je fais semblant d’être morte pour qu’on ne me tue pas. J’ai entendu qu’on tuait encore quelqu’un, je ne connaissais pas sa voix.

Cette fois, je fais semblant d’être tuée et il n’y a pas de très grand plaisir. C’est bizarre.

Peut-être suis-je morte sans m’en rendre compte.

***

Je suis un oisillon, la jupe de maman est un nid. Elle me protège.

Zainab m’a raconté une histoire, il fallait faire semblant d’être tuée, c’était hier ou avant-hier, je n’ai rien compris. Maintenant, je crois que je comprends. Si je veux rester vivante, il faut que je ne bouge plus jamais. Est-ce que je veux rester vivante ? Oui. Je ne sais pas pourquoi.

Mon cri d’oiseau, c’est moi qui l’ai inventé. C’est pour ça que c’est un secret. Je l’ai dit seulement à Zainab. Est-ce que Zainab est toujours vivante ? Quand on n’est plus vivant, on devient quoi ?

J’ai appris à Zainab à imiter mon cri. Si je le fais, elle le fera aussi, et je saurai qu’elle est vivante. Si les méchants l’entendent, ils croiront que c’est un oiseau.

Mais si je fais mon cri et si Zainab ne répond pas, je saurai qu’elle n’est plus vivante. J’ai peur.

Tant pis, je fais le cri.

Le cri répond. Zainab est vivante.

***

Zeena a fait le cri. Elle est vivante. J’ai répondu le cri. Elle sait que je suis vivante. Moi aussi, je le sais, maintenant.

Un monsieur arrive sur un vélo. Il m’a vue crier. Il sait que je suis vivante, il va peut-être me tuer.

Le temps passe, l’homme a l’air d’un gentil, puisqu’il ne me tue pas. D’autres gens viennent et me posent des questions. Je réponds.

Ce sont peut-être des méchants. Alors je ne dirai jamais que j’ai une s£ur qui est vivante dans la voiture et qui fait semblant d’être morte. Comme ça, ils ne penseront pas à la tuer.

Et peut-être que Zeena le sentira, elle, le très grand plaisir.

Par Amélie Nothomb

 » Si je veux rester vivante, il faut que je ne bouge plus jamais. Est-ce que je veux rester vivante ? Oui. « 

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