Mon cousin  » JFK  » par Brice Lalonde

L’ancien ministre français de l’Environnement évoque ses souvenirs familiaux avec John Forbes Kerry

On dit que mon cousin ressemble à Lincoln. Sans la barbe. Est-ce que ça lui portera chance ? Les rancunes de la guerre de Sécession sont éteintes, mais, après Kennedy, les présidents des Etats-Unis sont venus du Sud. Descendants des premiers colons, ceux de la Nouvelle-Angleterre sont vus comme des aristos. John Forbes Kerry (JFK, vous avez remarqué ?) n’y échappe pas. Il est bostonien. Sa famille û non, ce n’est pas celle du milliardaire û est liée aux origines de l’Amérique. Sa mère est l’une des 11 enfants que ses grands-parents emmenaient volontiers dans leurs déplacements en Europe, où certains se sont établis. Il doit bien avoir 30 cousins et cousines de par le monde qui suivent aujourd’hui ses batailles. Dont une minorité en France. Jeune, il les retrouvait en été dans la maison de famille en Bretagne. Il était celui qui organisait les jeux, menait la troupe, symbolisait l’Amérique. Car, pour couper court à toute insinuation, bienveillante ou malveillante selon le côté de l’Atlantique d’où elle provient, John Kerry n’a rien de français, même s’il connaît la France !

C’est vrai qu’il a belle allure, le sénateur du Massachusetts. Il est grand, bien mis et soigneusement coiffé, peut-être un peu émacié. On lui reproche parfois d’être trop bien élevé ou de tenir des propos nuancés. Notre temps goûte les bateleurs. Ce n’est pas son style et, ma foi, pour un responsable, c’est plutôt rassurant. Je le trouve laconique à côté de bien des hommes politiques. Il utilise ces brèves expressions de sympathie blagueuse qui font penser aux héros des films américains. D’autant que c’est un sportif. Il apprécie particulièrement la planche à voile par gros temps. Ça lui rappelle la vie publique ! Les éléments peuvent vous bousculer, mais il est des moments où ils vous portent. Et puis John Kerry aime se retrouver entre mer et ciel, seul au milieu de la nature. C’est une tradition familiale, l’amour de la nature, le souci de l’environnement, partagés par la plupart des habitants de la Nouvelle-Angleterre. Au Sénat, où il n’a cessé de se battre contre les pollutions et pour la sauvegarde des océans. Il était à Kyoto quand la délégation américaine donna son accord au protocole de lutte contre l’effet de serre. Il martèle que les Etats-Unis doivent se libérer du pétrole. Il était à Rio, en 1992, au Sommet de la Terre. Et c’est là qu’il rencontra sa seconde épouse, Teresa Heinz.

Elle parle quatre langues. Elle est fortunée. Mais elle a eu sa part de souffrances. Née au Mozambique, elle dut quitter le pays dans la tourmente. Son premier mari, lui aussi un homme politique, fut tué dans un accident d’avion. Teresa est connue aux Etats-Unis pour son action et pour son franc-parler. Contrairement à l’Europe, les Etats-Unis accordent aux époux un rôle important dans la vie publique. Et les Américains ont le sens de la famille. Dans la campagne, tout le monde est sur le pont : les deux filles de Kerry, Alexandra et Vanessa, nées d’un premier mariage, son frère, ses s£urs. Hélas, ses parents n’auront pas eu la chance de voir leur fils engagé dans l’aventure présidentielle. Ils sont morts tous deux récemment.

John Kerry est de la génération d’Américains contemporaine du mouvement des droits civiques. En 1962, quand il entre à l’université, on voit encore dans certains Etats des écriteaux indiquant des lieux réservés ou interdits aux gens de couleur. C’était le temps de Martin Luther King. Il a vu également naître et se développer le mouvement féministe, dont il défend aujourd’hui les acquis face aux menaces de réaction des fondamentalistes. Il a la chance de rencontrer alors le président Kennedy et de faire campagne pour son frère Ted, l’autre sénateur du Massachusetts.

Mais c’est surtout le Vietnam qui forgea l’homme politique. Après ses études à Yale, il devance l’appel et s’engage dans la marine, convaincu que c’est ainsi qu’il doit servir son pays. Fin 1967, il s’embarque pour l’Asie du Sud-Est. Je me souviens encore du coup de téléphone où il m’annonçait son départ. Affecté sur une vedette rapide qui patrouille dans le delta du Mékong, il devient l’un des skippers les plus audacieux, n’hésitant pas à échouer son navire sur le rivage pour courir sur l’ennemi. Il y gagne ses médailles de héros militaire. Il est blessé trois fois. Mais le ressort est cassé. La conduite de la guerre, les retombées sur la population le choquent. Cinq de ses meilleurs amis sont tués. En avril 1969, de retour au pays, il rejoint l’association des anciens combattants du Vietnam hostiles à la poursuite de la guerre. Le 22 avril 1971, il témoigne avec brio devant la commission des Affaires étrangères du Sénat. Le lendemain, 250 000 combattants défilent à Washington contre la guerre.

C’est ce dualisme que j’aime en lui : soldat et rebelle. Il fait confiance aux autorités de son pays. S’il se sent trompé, il ne leur pardonne pas. Il est si patriote qu’il ne peut supporter qu’un Américain le déçoive. Je suis épaté par son sérieux et sa concentration. Rien ne le distrait. Il est d’une incroyable ténacité. Pour moi, il a gardé son idéal, que la campagne pour la présidentielle ne cesse d’aviver. Il veut l’Amérique morale, l’Amérique des pères fondateurs, l’Amérique aimée et respectée du monde entier. Bonne chance, cousin !

Philippe Coste

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