Clara Lodewick, une jeune autrice à la maturité presque inquiétante... © National

Merel, l’autre visage de Dupuis

Le Vif

Avec Merel, Clara Lodewick inaugure une nouvelle collection chez Dupuis consacrée – petite révolution! – aux jeunes auteurs et aux romans graphiques «positifs». Cette chronique sociale, belge, féministe et campagnarde s’avère effectivement lumineuse.

La femme qui donne son nom à la première bande dessinée de la Belge Clara Lodewick (1), 25 ans, est aussi originale que son prénom, et n’a, a priori, rien du héros ou de l’héroïne de BD tel(le) qu’on l’entendait il n’y a pas si longtemps chez Dupuis: Merel est une quadragénaire à la beauté surtout intérieure, prolétaire, célibataire et sans enfant dont le quotidien, dans ce petit village de la campagne flamande, se partage entre son élevage de canards, les articles sur l’équipe de foot du coin qu’elle rédige pour la presse locale, son jeune amant et les bières qu’elle boit parfois au bistrot. Une vie simple et paradoxalement sans histoires, qui va lentement basculer: une blague un peu graveleuse qui rebondit sur le mal-être de l’épouse d’un copain, des persiflages qui tombent mal dans l’oreille de gamins qui s’ennuient et la rumeur se répand: Merel «serait méchante», Merel «couche avec tous les hommes du village». On l’évite. On tue un de ses canards. Merel devient soudain le bouc émissaire de sa petite communauté.

C’est ça que j’ai envie de raconter: les relations humaines, les gens qui se pardonnent, qui arrivent à se remettre en question et à revivre ensemble.

Jusqu’au drame qu’on pensait inexorable? Eh bien non, parce que l’on est ici dans la première œuvre de Clara Lodewick qui «préfère les reconstructions aux drames» et qui avait «envie de beaucoup d’amour», mais aussi dans le premier roman graphique d’une nouvelle collection, Les Ondes Marcinelle, née chez Dupuis pour «amener de la diversité» et «des premières œuvres à l’écriture très contemporaine, et si possible positives voire utopiques», précise Stéphane Beaujean, le directeur éditorial qui tient enfin une rentrée BD qui portera sa marque, parfois paradoxale (lire l’encadré).

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Merel sera donc le récit, romanesque, lent et précis, d’une reconstruction humaine et sociale «qui demandera à chaque personnage de passer au-dessus de ses a priori, de reconnaître ses erreurs, de sortir du déni…», poursuit l’autrice à la maturité presque inquiétante. «C’est ça qui est impressionnant dans la vie et que j’ai envie de raconter: les relations humaines, les gens qui se pardonnent, qui arrivent à se remettre en question et à revivre ensemble.»

Un peu de Saint-Luc, beaucoup de «woofing»

L’ originalité de ce Merel, tant dans sa narration que son contexte, s’ explique évidemment par la personnalité déjà très forte de son autrice pourtant frêle, mais aussi par ses études à Saint-Luc, qui lui ont appris «qu’on a le droit de raconter des histoires qui ne sont pas forcément extraordinaires» et, surtout, par le «woofing», qu’elle a longtemps pratiqué. «Le woofing, c’est du travail bénévole que l’on effectue dans les fermes en échange du gîte et du couvert. Les femmes que je rencontrais dans ce cadre étaient à chaque fois des femmes très libres, très solides, qui travaillent souvent seules. Elles m’ont donné envie de raconter leur manière d’être, leur façon de bouger. Merel, comme les autres femmes de son entourage, de ce village, est le fruit de toutes ces femmes-là.»

(1) Merel, par Clara Lodewick, Dupuis, collection Les Ondes Marcinelle, 160 p.

Une maison d’édition entre gestion et création

Hasard, ou décision stratégique, du calendrier éditorial, Stéphane Beaujean, le directeur éditorial de Dupuis, se déplaçait ce jour-là pour défendre à la fois la naissance des Ondes Marcinelle, une collection vouée à la jeune création, des Ondines, qui proposera des romans graphiques pour les plus petits, mais aussi la sortie du 56e tome des aventures de Spirou et Fantasio (1), repris par un nouveau trio d’auteurs qui incarne ce que la maison peut faire de mieux en matière de gestion de marques et d’univers, à grands coups de reprises, de spin-off et autres jeux de licences.

La Mort de Spirou sonne donc paradoxalement, à l’instar de celles de Rahan ou de Superman avant lui, comme une résurrection, puisque l’étonnant trio à sa tête, constitué de deux jeunes scénaristes issus de la scène contemporaine et indé et un dessinateur volontairement vintage déjà rompu à l’exercice (Schwartz a déjà dessiné trois Spirou par… ! ), a pour mission de pérenniser l’icône en le faisant définitivement entrer dans le XXIe siècle.

Cette première pierre, qui voit Spirou s’enfoncer dans une cité sous-marine directement inspirée de Spirou et les hommes-bulles s’avère, de fait, rafraîchissante mais aussi… tournée vers le passé en s’inspirant largement, et de manière totalement assumée, du Spirou de Franquin, «un Spirou remis dans son époque contemporaine et porté vers la modernité par un élan d’optimisme, capable de donner le goût du progrès et de rassurer les enfants». Un Franquin qui hante décidément les couloirs de Dupuis ; dans quelques semaines, un tribunal bruxellois décidera si l’éditeur a le droit de se lancer dans une reprise de Gaston Lagaffe.

(1) La Mort de Spirou, Spirou et Fantasio t. 56, par Benjamin Abitan, Sophie Guerrive, Olivier Schwartz, Dupuis, 64 p.
Merel, ou l’histoire de reconstructions plutôt que de drames.
Merel, ou l’histoire de reconstructions plutôt que de drames. © National

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