Merci, Laurette !

Intellectuel égaré en politique, fils à papa,  » francophonissime  » : les clichés dont souffrait Bernard Clerfayt se sont envolés. Grâce à la stature qu’il a acquise depuis sa victoire contre Onkelinx, aux communales de 2006, le voilà secrétaire d’Etat. l

Qu’elle peut être cruelle, parfois, la politique ! Le jeudi 20 mars, peu après 14 heures, les membres du nouveau gouvernement Leterme se rassemblent sur les marches du Parlement pour la traditionnelle photo de famille. Pooomme-friiite ! Clic-clac, voilà tous les ministres et secrétaires d’Etat immortalisés pour la postérité. Tous ? Euh… Mais où est donc passé le FDF Bernard Clerfayt ? Personne ne l’a prévenu, voilà tout. A peine nommé secrétaire d’Etat adjoint aux Finances, on l’a déjà oublié. Cinglante humiliation. Ce poste, il n’a pourtant pas ménagé sa peine pour l’obtenir. L’été dernier, il ne s’est permis qu’une seule semaine de vacances : trop peur de rater le coche, en cas d’aboutissement des négociations pour la formation d’un gouvernement de l’orange bleue. Finalement, il aura dû patienter presque neuf mois avant de décrocher son ticket d’entrée dans l’équipe Leterme.

A Schaerbeek, vu les règles de non-cumul des mandats, Bernard Clerfayt sera bourgmestre empêché. Pour l’heure, il reçoit toujours à l’hôtel de ville. On atteint son bureau en gravissant un large escalier en marbre, orné de natures mortes. Va-t-il bientôt vider les lieux, pour laisser la place à la nouvelle bourgmestre faisant fonction, Cécile Jodogne ? C’est peu probable.  » Il n’existe aucune disposition légale concernant le bureau « , note Bernard Clerfayt, sibyllin.

Photo ou pas photo, bureau ou pas bureau, Clerfayt retrouvera à coup sûr Laurette Onkelinx au gouvernement. Ces deux-là ne s’apprécient guère (ô euphémisme). Le bras de fer qui les a opposés pour conquérir le maïorat de Schaerbeek, en octobre 2006, fut peu fraternel. Il a tourné au désavantage de la socialiste. Mais Clerfayt sait tout ce qu’il doit à Laurette Onkelinx : c’est elle qui lui a permis de se révéler. Lorsqu’il a appris qu’elle comptait lui piquer l’écharpe de Schaerbeek, il a d’abord cru la bataille perdue d’avance. Avant de mener campagne avec l’énergie du désespoir. Lui, l’homme de dossiers, l’intellectuel introverti, a montré un talent pour les bains de foule que personne ne lui connaissait jusqu’alors.  » Il a prouvé qu’il était aussi à l’aise dans les fêtes maghrébines que dans les kermesses flamandes et les soirées mondaines, mais il s’est aussi révélé le meilleur d’entre nous, rapporte l’échevin schaerbeekois Michel De Herde (FDF). Je me rappelle l’avoir aperçu, tout seul, vers minuit, au beau milieu d’un quartier populaire. Pour que tout le monde puisse bien le reconnaître, il se promenait avec son écharpe noir-jaune-rouge autour de la taille.  » Quelle évolution depuis son entrée en fonction, en janvier 2001 ! A l’époque, jugeant ringards les bals du bourgmestre, il avait décidé d’organiser une soirée jazz : il n’y eut même pas 50 personnes pour y assister…

Homme du centre, Clerfayt est un rassembleur solitaire. Lui-même confie qu’il n’a pas beaucoup d’amis. Ses loisirs ? Plutôt dans son coin : cui- sine, jardinage, bande dessinée (M£bius, Schuiten, Tardi…). Mais la réconciliation entre les quartiers popu-laires du bas de Schaerbeek et ceux cossus du haut, il l’incarne mieux que personne, en vivant rue de la Ruche, au centre de la cité. Il possède aussi un étonnant sens de l’équilibre idéologique. Des études en sciences éco, un stage au Fonds monétaire international et une thèse de doctorat entreprise à la KUL : ce parcours a installé, au c£ur de son action, la notion d’efficacité (quitte à reléguer à l’ar-rière-plan le facteur humain, di- sent les mauvaises langues). Il porte néanmoins aux questions sociales et écologiques un réel intérêt. Et il se montre bien plus progressiste que le gros des troupes libérales. Quinze ans, déjà, qu’il défend le mariage homosexuel ! En bon centriste, il sait aussi esquiver les sujets épineux : à propos d’une régularisation des sans-papiers, personne, même parmi ses proches, ne sait quelle est sa position exacte.

Difficile de le percer à jour. L’homme est un beau parleur, mais ne se livre pas facilement. On le dit dévoré d’ambition.  » Il ne sera satisfait que lorsqu’il deviendra secrétaire général de l’ONU « , confie une figure schaerbeekoise. Sa démarche altière passe parfois pour de l’arrogance.  » Ce n’est certainement pas un modeste, indique Clothilde Nyssens, députée CDH. Mais, en politique, qui l’est ?  » Il a beaucoup fréquenté les scouts dans sa jeunesse, à Rhode-Saint-Genèse (en Brabant flamand, donc). Il connaît bien la bourgeoisie franco-phone du sud de Bruxelles et les milieux cathos traditionnels. Son sport de prédilection ? Le tennis, évidemment. Et puis, on l’oublierait presque, mais son père n’est autre que Georges Clerfayt, ex-président du FDF.

Tout cela aurait pu faire de lui une caricature du fransquillon. Pas du tout. Charmeur, voire play-boy, Clerfayt sait comment s’y prendre pour amadouer les Flamands : chaque 11-Juillet, jour de la fête flamande, le Vlaamse Leeuw flotte sur l’hôtel de ville de Schaerbeek. Malgré les réactions indignées des citoyens, il a tenu bon.  » A d’autres moments, il peut toutefois se montrer radicalement antiflamand, commente l’échevin Luc Denys (Groen !). Le service communal de la jeunesse, par exemple, fonctionne à 100 % en français. Il s’agit d’une pure discrimination. J’ai essayé de négocier avec lui, mais il m’a remballé en me disant que les Flamands ne représentaient qu’une minorité.  » N’empêche, les Flamands sont unanimes : tant qu’à avoir un FDF au gouvernement, ils préfèrent un Clerfayt à un Maingain…

François Brabant

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