Mémoire et démocratie

L’élargissement de l’Union européenne est plus qu’un événement politique ou économique. Il est, pour moi particulièrement, et pour ma génération, chargé d’émotion. Les jeunes mesurent-ils la victoire morale que représente l’arrivée de pays presque tous issus de l’ex-bloc soviétique, librement, pacifiquement, démocratiquement ? Mesurent-ils combien la construction européenne résulte d’un pari ? Alors que le nazisme avait fait sombrer l’Europe entière, le projet européen a consisté à bâtir, sur les cendres et les ruines, sur nos mémoires blessées. Conduit par deux ennemis historiques, la France et l’Allemagne, le projet européen, auquel j’ai personnellement consacré tant d’énergie, s’est notamment construit sur l’exigence d’un regard lucide, sans concession, sur le passé, si douloureux soit-il. L’arrivée de nouveaux pays membres m’amène donc à formuler un v£u. Celui de voir nos nouveaux partenaires, longtemps soumis à l’impérialisme soviétique, engager un véritable travail d’histoire et de mémoire sur la mise en £uvre, dans leurs pays, de la  » solution finale « . Après leur totale occultation de ces événements tragiques, ces pays mettent encore en avant les crimes commis par les communistes pour effacer ou banaliser la mémoire du génocide perpétré contre les juifs. Je reviens de Hongrie, où j’ai participé, comme présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, à l’inauguration du nouveau musée de l’Holocauste. Ce voyage m’a convaincue que ce pays, comme d’autres, et notamment la Pologne, où je me suis récemment rendue, a maintenant compris la nécessité de faire face aux heures sombres de son histoire. Une recherche méticuleuse et rigoureuse menée par les historiens pour éclairer, dans chacun des pays concernés, les facteurs ayant conduit à la  » solution finale  » peut faire obstacle à la résurgence du mal. Il est des chiffres, des récits, des photographies après lesquels il est plus difficile de haïr, plus difficile encore d’exprimer sa haine. Mettre au jour l’histoire de la Shoah est non seulement une obligation de déférence envers les morts, mais aussi un devoir de vigilance envers les vivants, car l’expérience du nazisme nous rappelle quelles sont les valeurs fondamentales de la démocratie : respect des institutions, courage civique, sens moral, dignité des individus.

Mémoire et démocratie sont les deux piliers de l’Europe : non pas une Europe de la haine mais une Europe fondée sur le respect de la dignité de l’homme et des valeurs universelles. l

Simone Veil

Longtemps soumis à l’impérialisme soviétique, certains nouveaux membres de l’Union doivent se confronter à leur attitude face au nazisme

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