Mélenchon au canon

Le candidat du Front de gauche tire à boulets rouges durant cette campagne. Sur la finance, les médias, le FN… Et le sang des socialistes coule aussi.

V oilà longtemps que Jean-Luc Mélenchon sème une forme de terreur chez les socialistes. Même lorsqu’il était des leurs, alors jeune sénateur PS de l’Essonne, le déjà turbulent provoquait un certain effroi chez ses pairs.

Mélenchon fait de la politique avec ses tripes dans la main droite et un fusil à pompe dans la main gauche. Sans se retourner sur le corps gisant de ses victimes. Peu importe que l’homme soit charmant, ou pas, en privé : c’est le personnage public que les électeurs connaissent. A Marine Le Pen, il a voulu mettre  » une pilée « . En Une de Libération, au début de février, il prend la masse et lance à l’intention de la finance, en lettres grasses et capitales :  » Il faut taper, taper, taper.  » A tout le moins, et pour reprendre la formule utilisée par le conseiller élyséen Patrick Buisson dans Le Monde du 14 mars, il se dégage de Jean-Luc Mélenchon une certaine  » tonicité « . Toute sa stratégie de campagne, depuis le début, repose sur cette équation : il se veut le miroir de l’exaspération d’un peuple confronté au déclassement. Cela tombe bien pour lui : il n’a nul besoin de forcer sa personnalité pour paraître en colère.

En meeting à Lille, le 27 mars, l’ancien ministre de Lionel Jospin enfile sa tenue de sniper avant de monter sur une tribune où l’attendent en contrebas plus de 20 000 personnes prêtes à applaudir ses salves. Parmi elles, assurément des électeurs socialistes, dans cette ville dirigée successivement par Pierre Mauroy et Martine Aubry. Devant son pupitre,  » Méluche  » torpille ses anciens camarades du PS :  » Ne commencez pas à me chercher ! Soyez polis avec nous ! Jérôme Cahuzac, conseiller de François Hollande, dit que le programme, c’est à prendre ou à laisser. Très bien, on laisse !  » Même quand Jean-Luc Mélenchon cite un pacifiste, il n’en devient que plus assassin. Ainsi à Amiens, au début de janvier, où il était venu soutenir le syndicaliste Xavier Matthieu -, alors que Hollande n’a pas fait le déplacement, le candidat du Front de gauche fait appel à Gandhi :  » Ceux qui ne font rien font partie du problème. « 

 » L’histoire d’une gauche sans voix « 

La stratégie de Mélenchon s’inspire de ce qui s’est passé depuis plusieurs années en Amérique latine, et elle se fonde sur  » l’effondrement de la gauche sociale-démocrate « . De toutes parts (sauf, sans doute, dans l’entourage de François Hollande !), on accepte de reconnaître une certaine admiration pour la campagne en cours à gauche de la gauche. Un intime de Marine Le Pen confesse sa jalousie envers le slogan  » La France, la belle, la rebelle « . Et valide le leadership mélenchonien :  » Les peuples sont comme les animaux : ils vont vers les dominants.  » Eva Joly, de son côté, confiait, le 27 mars, à l’heure de l’apéritif sur une terrasse du bassin d’Arcachon :  » Mélenchon, il fait rêver.  » Nuançant ensuite :  » Moi, je ne fais pas rêver, mais, au moins, je ne baratine pas. « 

Un homme observe tout particulièrement le scénario qu’est en train d’écrire Jean-Luc Mélenchon. Il s’appelle Christian Salmon et est souvent présenté comme le spécialiste français du storytelling politique. Pour l’auteur de Ces histoires qui nous gouvernent (éd. Jean-Claude Gawsewitch), le candidat du Front de gauche propose une contre-narration :  » C’est l’histoire non pas d’un mec, mais d’une gauche sans voix. Mélenchon ouvre des perspectives, tandis qu’en disant « Le changement, c’est maintenant », François Hollande ne fait pas une promesse, mais une déclaration.  » La seule déclaration effectuée par le Front de gauche est une déclaration de guerre. Electorale. Mélenchon, lecteur du général vietnamien Giap, a sorti les armes depuis des mois. Quitte à susciter l’incompréhension chez des gens qu’il aime : l’été dernier, alors qu’il discutait rapports de force avec Danielle Mitterrand, la veuve aujourd’hui disparue lui avait rétorqué :  » Je suis contre la violence ! « 

TUGDUAL DENIS

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