Médicaments A la poubelle, le Prozac ?

Grand  » scoop  » révélé par une étude : pour soigner les dépressions modérées, certains antidépresseurs ne seraient pas plus efficaces qu’un placebo. Ah bon ? Les médecins, eux, le savent depuis longtemps ! De là à jeter ces médocs au panier…

Passez au crible 47 essais portant sur quatre antidépresseurs. Synthétisez le tout en une étude globale. Remuez, et servez dans la presse : succès assuré ! Surtout si l’étude  » révèle  » que les quatre molécules testées – dont le fameux Prozac et un médicament retiré de la vente – ont des effets comparables à ceux des placebos sur les dépressions légères ou modérées. De quoi faire jubiler ceux qui, des scientologues aux mutuelles, déclarent depuis longtemps que la prescription d’antidépresseurs dérape dangereusement. En Europe, on a évalué le coût de la dépression : en moyenne, 3 826 euros par an et par malade (1). Les médecins prescrivent-ils donc trop ou mal ? Faut-il se méfier des antidépresseurs ? Ou ne plus les considérer comme indispensables pour aider les malades ? La réponse de spécialistes.

Pourquoi cette étude, c’est  » du flan « 

Pour les médecins, ce travail ne révèle aucune surprise.  » Nous savons depuis des années que les antidépresseurs ont un effet égal ou à peine supérieur au placebo pour les dépressions minimes ou modérées : ils ne sont probablement pas la bonne solution pour des patients souffrant de ces formes-là, du moins dans un premier temps « , rappelle le Pr Julien Mendlewicz, psychiatre et professeur à l’ULB (1).

Selon ce spécialiste, on parle à tort de  » la  » dépression, alors qu’il exis- te  » des  » dépressions. Certaines d’entre elles exigeront des mesures  » chimiques « , comme les antidépresseurs. D’autres, liées à la personnalité, à l’histoire personnelle du patient, au stress, requièrent d’abord une aide psychothérapeutique. Néanmoins, c’est l’alliance de l’antidépresseur et d’une psychothérapie qui donnerait les meilleurs résultats.

Les placebos, c’est bien aussi

Dire qu’un antidépresseur ne fait pas mieux qu’un placebo, c’est oublier… que l’effet placebo est loin d’être nul ou négligeable dans la dépression.  » De plus, pour être enregistrées, les nouvelles molécules doivent prouver qu’elles sont au moins supérieures à ce que l’on obtient avec des substances inactives « , précise le Pr Mendlewicz.

Pourquoi l’étude a raison

 » Pour des raisons éthiques, puisqu’ils ne sont pas en état de donner un consentement éclairé, les patients atteints des formes les plus sévères de la dépression sont souvent exclus des essais cliniques, remarque le Dr Souery, psychiatre au centre Psy pluriel, à Bruxelles. L’étude confirme en tout cas ce que voient les praticiens : les antidépresseurs sont efficaces et, donc, utiles, au moins pour traiter les 5 % d’Européens souffrant d’une affection grave, liée à des idées suicidaires. On oublie trop vite qu’avant les antidépresseurs, les personnes atteintes d’une dépression de type mélan- colique croupissaient dans les asiles… « 

Pourquoi l’étude a tort

Par définition, l’étude en cause mélange des essais aux conclusions variées, ce qui soulève de nombreuses critiques. Elle se penche également sur des résultats obtenus voici environ quinze ans et qui examinaient les effets des molécules pendant huit semaines tout au plus.  » Actuellement, en Europe, pour être enregistrés, les antidépresseurs sont scrutés pendant six mois « , souligne le Pr Mendlewicz.  » De plus, désormais, on ne se contente pas d’examiner leur seule efficacité. On détermine leur efficience, c’est-à-dire aussi, par exemple, leur tolérance ou l’aide qu’ils apportent à la réinsertion des malades « , ajoute le Dr Souery.

Ce que l’étude oublie

On considère que 30 % des dépressions  » résistent  » aux antidépresseurs : ces derniers n’ont pas d’effet sur eux. Le Dr Souery participe actuellement à une étude européenne qui tente de déterminer les patients qui ont le plus de chance de répondre à ces molécules. Par ailleurs, une prise de médicaments supérieure à six mois permet de réduire les risques de rechute des patients :  » Sous traitement, 30 % vont vivre une rechute, pour 60 % sous placebo « , remarque le Pr Mendlewicz. l

(1) Dr Daniel Souery dans La Dépression, un mal de vivre, des solutions, par le Pr Julien Mendlewicz, Editions du Seuil, 2007.

Pascale Gruber

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire