Magotteaux sous pavillon australien ?

Dans l’indifférence quasi générale, un de nos plus beaux fleurons industriels est en passe d’être repris par des industriels étrangers. Un de plus.

JEAN-MARC DAMRY

Le 24 mai dernier, à l’autre bout du monde, un média australien annonçait que One-Steel et Orica avaient des vues sur la fonderie belge Magotteaux et se préparaient à faire une offre aux actionnaires, au premier rang desquels on retrouve le fonds suédois de private equity Industri Kapital qui en détient 55 % depuis 2006. Selon cette même source, le groupe chilien Cap, l’américain Koppers et ArcelorMittal seraient aussi sur les rangs, mais leurs chances d’aboutir seraient cependant moindres. Aux yeux des Australiens, le groupe liégeois est en tout cas décrit comme une pépite, dégageant un résultat avant prise en charge des intérêts, taxes et amortissements de 79,8 millions de dollars, avec des perspectives de croissance du résultat comprises entre 15 et 20 % par an et détenant une part de marché dans son segment de 10 %. Le lendemain, L’Echo annonçait de son côté que  » le fonds [NDLR, Industri Kapital] avait demandé à Morgan Stanley [NDLR, une des plus importantes banques d’affaires au monde] d’étudier les options stratégiques pour l’avenir de Magotteaux, ce qui n’est généralement qu’un doux euphémisme pour indiquer une vente future « . Selon nos sources, Industri Kapital compte en tout cas finaliser la cession de ses intérêts en Magotteaux d’ici à fin août, soit bien en avance sur le timing négocié à l’origine et, last but not least, selon des modalités tout à fait différentes par rapport à ce qui avait été négocié à l’époque.

L’arrivée d’un financier…

L’entrée, en 2006, d’Industri Kapital dans le capital de Magotteaux résulte principalement de la volonté conjointe de Jean-Jacques Verdickt et de Bernard Goblet. Le premier – ex-figure bien connue de l’Union wallonne des entreprises et de la Générale de banque – avait été appelé au chevet du groupe basé à Vaux-sous-Chèvremont (Chaudfontaine) alors que certains de ses crédits bancaires venaient d’être dénoncés aux Etats-Unis et que, chez nous, des gages étaient en passe d’être exécutés par la banque ING. Ingénieur civil de formation, Jean-Jacques Verdickt a assumé avec brio le redressement industriel et financier de l’entreprise et a terminé sa mission de manager de crise en recrutant son successeur à la tête du groupe – Bernard Goblet, à l’époque directeur financier de Proximus – et en bétonnant avec lui un plan d’affaires ambitieux mais qui nécessitait un apport d’argent frais. A l’époque, la crainte était cependant de voir Magotteaux adossé à un autre groupe industriel qui lui dicterait sa ligne de conduite. Pour éviter ce scénario, le tandem Verdickt/Goblet s’était donc mis en quête d’un partenaire financier prêt à laisser les coudées franches au management. Si la CNP (Albert Frère) et Ackermans & van Haaren (Luc Bertrand) ont, dans un premier temps, été cité pour être de la partie, c’est finalement avec Industri Kapital que l’affaire a été conclue. Magotteaux passait sous pavillon suédois mais conservait néanmoins son indépendance opérationnelle, une condition sine qua non.  » Même si l’investisseur financier prend plus de 50 % du capital, nous avons en effet subordonné son entrée au respect d’un cahier des charges drastique, réservant au management et/ou à la Stak [NDLR, une fondation établie aux Pays-Bas détenant 35 % du capital encore aux mains de l’ancien management et du management en place] un certain nombre de droits, à commencer celui d’un droit de veto sur certaines propositions de décisions. Notre culture d’entreprise doit être respectée, notamment quant à l’ancrage du groupe à sa région « , expliquait à l’époque le tandem Verdickt/Goblet à nos confrères de Trends-Tendances. La sortie d’Industri Kapital du capital de Magotteaux était, elle, prévue pour 2012 ou 2013 sous la forme d’une introduction du groupe liégeois en Bourse, de manière à rencontrer l’intérêt de l’actionnaire et de l’entreprise elle-même : l’opérateur financier peut en effet ainsi prendre sa plus-value tout en laissant au management son indépendance opérationnelle…

Cinq ans plus tard…

Depuis l’arrivée des Suédois, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la Vesdre. Côté actionnariat, au motif qu’il est difficile d’être et d’avoir été, l’ancien management a été discrètement prié de céder ses parts au management en place. La Stak – et les droits qui lui sont attachés – est donc à présent essentiellement aux mains de l’actuelle équipe dirigeante. La manière dont elle se positionnera dans les discussions en cours sera assurément déterminante. Ainsi, plus elle acceptera de revenir sur les conditions strictes d’exercice du contrôle de l’actionnaire majoritaire sur Magotteaux, plus un opérateur industriel serait susceptible de s’intéresser de près à l’affaire et à y mettre le prix.  » Pensera-t-il d’abord à son pactole ou, à l’image de ce qui a toujours été de mise chez ses prédécesseurs, au devenir de l’entreprise et de ses composantes ? Si la logique du stand alone – bref, de continuer à conquérir plutôt que de se laisser conquérir – se défend tout à fait, encore faut-il la vouloir réellement !  » estime une source très proche du dossier.  » Cela étant, céder la majorité de contrôle à un autre financier n’aurait guère de sens car l’entreprise est à maturité. En l’état, il n’y a pour ainsi dire plus de création de valeur supplémentaire à imaginer, confie une autre source préférant conserver l’anonymat. Par contre, un opérateur industriel pourrait, lui, faire jouer les complémentarités intra-groupe, tant en termes de complémentarité de produits que sous l’angle géographique. Sans compter aussi tout le savoir-faire de Magotteaux, qu’il s’agisse de l’exploitation de ses brevets ou du fruit des travaux de ses centres de recherche et développement, lesquels pourraient logiquement profiter à l’ensemble du groupe. C’est cet aspect qui donne une valeur supplémentaire – et appréciable – à l’entreprise, et que les adeptes de la logique financière voudraient voir privilégiée.  »

Le paradoxe belge

Après Côte d’Or, la Royale Belge, PetroFina, la BBL, Tractebel, Electrabel, pour ne citer que celles-là, voilà donc Magotteaux, à nouveau un des plus beaux fleurons de la  » Belgique de papa « , dont la destinée opérationnelle sera probablement désormais entre des mains étrangères. Ce n’est pourtant pas faute de capitaux disponibles en Belgique, au contraire.  » Mais j’en conviens, c’est plus tentant de s’agenouiller devant un gros chèque, d’encaisser sa plus-value – non taxable -, de vivre très confortablement de ses rentes et de protéger financièrement la descendance sur plusieurs générations que de continuer à porter sur les épaules la destinée de l’entreprise qui, chaque jour un peu plus, est à la merci des aléas de la mondialisation « , reconnaît le patriarche d’une famille qui a choisi de passer la main de la sorte voici quelques années et qui ne le regrette absolument pas. Missa est ? JEAN-MARC DAMRY

Faut-il vendre au prix fort avant que les aléas de la mondialisation ne déprécient l’affaire ?

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