Luxe Dans les griffes des frères Fung

Après Sonia Rykiel, tombée dans l’escarcelle de cette dynastie asiatique, richissime et séculaire, à qui le tour ? Le groupe, basé à Hongkong, entend bien profiter de l’appétit des Chinois pour les marques occidentales.

Au train où ils enchaînent les acquisitions dans le luxe, ces Chinois-là ne resteront pas longtemps des inconnus. En moins d’un an, les frères Fung s’étaient déjà offert le maroquinier belge Delvaux, la maison franco-italienne Cerruti et le chausseur drômois Robert Clergerie. Le 20 février, ils ont mis la main sur 80 % de Sonia Rykiel, l’une des dernières griffes françaises encore indépendantes. A qui le tour ?

Victor et William Fung, milliardaires hongkongais, ont manifestement de grandes ambitions. Et des moyens. Leur fonds d’investissement, Fung Brands, est géré par leur partenaire Jean-Marc Loubier, un Français. Cet ancien de Louis Vuitton, dont il a contribué à la réussite en Chine avant de prendre la tête de la maison Céline, connaît bien son affaire.  » Nous amenons notre connaissance de l’Asie, précise-t-il, un soutien opérationnel et une perspective de développement durable. Si les propriétaires de ces marques ne nous appréciaient pas, s’il n’y avait pas une communauté de vue, ils ne vendraient pas. « 

Si prestigieuses et médiatiques soient-elles, ces opérations ne représentent pourtant qu’une des activités des frères Fung. Le clan a fait fortune ailleurs, dans le  » sourcing « , et pour l’essentiel dans le textile – le véritable socle de l’empire. Li & Fung est un géant du négoce. Une maison de commerce, présente dans plus de 40 pays, dont la majorité des 27 000 employés approvisionne les grandes enseignes internationales comme le n° 1 mondial de la distribution Wal-Mart ou les chaînes H&M et Zara. En 2010, son chiffre d’affaires s’élevait à 15 milliards de dollars, dont les deux tiers dans l’habillement.

La saga a commencé en 1906. Cette année-là, Fung Pak-liu – qui a mis quelques sous de côté en enseignant l’anglais – crée à Canton, en partenariat avec un ami, M. Li, un commerce de porcelaines et de soies qu’ils expédient vers l’Amérique. En 1937, les deux compères transfèrent leur entreprise à Hongkong. Le port international de la colonie britannique est alors déjà une plaque tournante des affaires en Asie. Un choix judicieux : bientôt, la Chine communiste empêchera tout commerce. L’entreprise Li & Fung, elle, ne va pas cesser de prospérer.

Aujourd’hui, ce sont Victor (né en 1945) et William (1949), les petits-fils du fondateur, qui dirigent le groupe. Le magazine Forbes estime leur fortune à 8,6 milliards de dollars. Ce qui les classe au 5e rang des familles les plus riches de Hongkong et leur a valu d’être qualifiés, en 2009, de  » grande dynastie chinoise  » par la créatrice de mode Vera Wang. Pourtant, les frangins sont du genre discret. Ces deux taiseux vivraient toujours dans un immeuble que la famille possède rue Magazine Gap, sur les hauteurs de l’ex-colonie. Tout au plus apprécieraient-ils d’aller régulièrement séjourner dans l’île de Phuket, en Thaïlande.

Des  » chefs d’orchestre  » qui ne laissent rien au hasard Tous deux ont grandi à Hongkong, mais c’est aux Etats-Unis qu’ils ont fait leurs études et leurs premières armes. L’aîné, Victor, a décroché un diplôme en sciences au MIT avant d’obtenir, en 1971, un doctorat à Harvard, où il a enseigné la finance. Le cadet, William, diplômé de Princeton, a également fréquenté la prestigieuse université de Cambridge, où il a suivi un MBA.

Durant l’été 1972, leur père leur demande de venir étudier l’entreprise familiale comme s’ils avaient à plancher sur un cas d’école. Leur diagnostic est sans doute convaincant car, dès l’année suivante, il leur passe le témoin, et la société est cotée en Bourse. A présent, Victor et William détiennent respectivement 30,9 % et 31,7 % du capital et jouent chacun leur partition. A William, la gestion au quotidien ; à Victor, la stratégie. Tous deux savent cultiver les  » guanxi  » – ces connexions sociales essentielles dans la culture du monde des affaires chinois. Leur réseau s’étend à la politique. Victor est membre de la Conférence consultative du peuple, une assemblée aux fonctions largement symboliques de la République populaire, mais qui donne accès aux dirigeants de Pékin. En 2008, il fut de ces personnalités consultées par le chef de l’exécutif de Hongkong, Donald Tsang, pour réfléchir aux moyens de surmonter la crise.

Mais, à la base de leur réussite, les Fung peuvent avant tout se targuer d’une organisation irréprochable. Commentaire de Jeff Yeung, directeur du Centre de recherche sur la gestion des chaînes d’approvisionnement à l’université chinoise de Hongkong :  » Ils peuvent mettre en marche des dizaines de producteurs à la demande du client. Ils savent trouver le meilleur fabricant de boutons dans un pays, le leader des fermetures Eclair dans un autre. Là est toute leur puissance, ils sont chefs d’orchestre sur l’ensemble du processus.  » Ce n’est pas tout : ils s’appuient sur une prouesse technique. Chaque producteur est relié en temps réel au réseau informatique du groupe.

Une nouvelle cible : le marché des jouets

Etendre ce succès est aujourd’hui la mission de Bruce Rockowitz. Nommé PDG de Li & Fung en 2011, ce manager brillant est arrivé dans la maison à l’occasion du rachat de Colby, une des sociétés concurrentes des Fung, qu’il présidait. A Hongkong, Rockowitz n’est pas non plus un inconnu depuis qu’il a épousé Coco Lee, une pop star née aux Etats-Unis, qui fit ses premiers tubes à Taïwan. Ce Canadien gère aussi – à temps perdu ! – une chaîne de restaurants branchés et de salles de yoga, baptisée  » Pure « , qui surfe sur la quête de bien-être. Les frères Fung auront besoin de tout son talent alors qu’ils cherchent à se diversifier. Non contents de multiplier les acquisitions dans le luxe, ils ont également entrepris de se renforcer dans la distribution. Ils gèrent déjà neuf magasins Toys R Us en Asie et ils viennent, en janvier dernier, de racheter (pour 41 millions de dollars) Roly, une marque de jouets et de vêtements pour enfants. Les Fung sont bien décidés à profiter de la soif de consommation des Chinois.

ARTHUR HENRY

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