Lumières de l’art et essai

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le réseau Diagonale fédère utilement le secteur des cinémas d’art et essai, et organise aujourd’hui la sortie coordonnée du nouveau Kaurismäki, Les Lumières du Faubourg

Les cinéphiles connaissent bien les cinémas le Parc et le Churchill à Liège, le Forum à Namur, le Plaza Art à Mons, le Parc à Charleroi, et, à Bruxelles, le Vendôme, l’Arenberg, l’Actor’s Studio, le Flagey et le Nova. Ces salles à la programmation de qualité,  » pointue « , dans le droit fil de l’esprit  » art et essai « , sont désormais organisées en réseau, tout comme l’étaient déjà leurs équivalents français dans le cadre de l’AFCAE (1). Ces 9 cinémas représentent plus de 33 000 séances annuelles, attirant au total plus de 800 000 spectateurs vers des £uvres sortant des sentiers battus de la programmation commerciale. Certes, il existait déjà, mais peu visible, une Association belge francophone des cinémas d’art et essai (ABFCAE). Certes, aussi, le budget de Diagonale, dénomination choisie pour la nouvelle structure, est peu spectaculaire et même un tantinet riquiqui avec ses 100 000 euros. Mais la première initiative concrète n’en marque pas moins l’imagination, qui implique la sortie coordonnée et en exclusivité du nouveau film d’Aki Kaurismäki Les Lumières du faubourg. Lequel arrive cette semaine simultanément dans les 9 salles du réseau, avec des actions spécifiques dans chaque ville, comprenant des concerts, des expositions, des présentations par des invités, des projections d’autres films liés au Kaurismäki, et même des dégustations !

Un contexte délicat

C’est très logiquement que le choix de Diagonale s’est porté sur Les Lumières du faubourg. Présenté en mai dernier au Festival de Cannes, ce film très émouvant narre les mésaventures d’un certain Koistinen, présenté par le réalisateur finlandais comme  » le dernier chevalier d’un pays où les bandits sont rois « . Avec son idéalisme romantique, sa persistance à vouloir défier – par amour et par dignité – la marche implacable de l’argent roi et de ses serviteurs, ce héros paradoxal ne pouvait qu’inspirer la sympathie et l’admiration des responsables des différentes salles impliquées. Kaurismäki, par ailleurs lui-même animateur d’un cinéma à Helsinki, est sans conteste un des maîtres auteurs d’un septième art tout à la fois personnel et ouvert au public. Il incarne donc bien la résistance à l’uniformisation qui menace la programmation et même le parc cinématographique.

Car la situation de l’art et essai en Belgique francophone n’est pas rose, qui voit l’audience se tasser d’inquiétante manière à Bruxelles, la Wallonie (Mons et Liège, notamment) ayant tendance à mieux résister à l’effritement général. Le DVD, le téléchargement, l’alignement des goûts sur le plus petit commun dénominateur ne sont pas étrangers à ce début de crise. L’indifférence du jeune public (surtout bruxellois), en dépit des efforts pédagogiques qui se multiplient çà et là, y est aussi manifestement pour quelque chose. Le signal d’alarme le plus récent et le plus strident est venu de l’Arenberg. Ce cinéma du centre de Bruxelles est singulièrement touché par le phénomène de baisse de fréquentation, alors même qu’il ne cesse de développer des initiatives ouvrant la salle aux publics les plus divers (son directeur, Thierry Abel, veut y maintenir  » un lieu d’émancipation par la culture « ).

Craignant pour sa survie, l’Arenberg a lancé un appel public à ceux et celles qui veulent soutenir son remarquable travail. Tout spectateur ou sympathisant peut ainsi acheter des actions (2) de la Société des spectateurs, créée sur le modèle de la Société des lecteurs du journal Le Monde

Un film emblématique

En choisissant Les Lumières du faubourg pour vecteur artistique de sa première démarche commune, le réseau Diagonale vient souligner l’importance d’Aki Kaurismäki dans le paysage cinéphile européen. Le réalisateur de La Fille aux allumettes, de Au loin s’en vont les nuages et de L’Homme sans passé y chronique, avec l’émotion retenue qui le caractérise, les humiliations subies par un veilleur de nuit dont les espoirs se briseront l’un après l’autre sur une réalité sociale épousant la raison du plus fort.  » J’aborde dans ce film le thème de la solitude, à travers un personnage de petit homme situé tout au bas de l’échelle sociale, comme pouvait l’être le vagabond joué par Charlie Chaplin, explique Kaurismäki. Le monde dans lequel il évolue est indifférent à ses désirs pourtant modestes, c’est un monde sans visage, un monde de dureté « , poursuit celui qui n’a pu, en humaniste sincère, qu’accorder in extremis une lueur d’espérance à Koistinen. Janne Hyytiänen incarne ce dernier avec le faux détachement fragile qui anime tant de personnages  » kaurismäkiens « . En femme calculatrice, tout droit sortie du film  » noir  » américain des années 1940 et 1950, Maria Järvenhelmi fait également impression dans des Lumières du faubourg accompagnées de tangos que chante l’immense Carlos Gardel. Une musique à la mélancolie prenante, s’inscrivant à merveille dans l’approche tout à la fois burlesque, tendre et triste d’Aki Kaurismäki, auteur d’  » un film incorruptible « , selon les termes du critique finlandais Peter von Bagh. Ce dernier est d’ailleurs invité par Diagonale à présenter Les Lumières du faubourg dans divers cinémas du réseau, les 13, 14 et 15 décembre.

La fibre cinéphile n’est pas morte chez nous, comme le prouve avec éloquence le succès de nombreux festivals organisés en Belgique francophone. Reste à l’intégrer de manière plus profonde dans le tissu parfois fragile du parc de salles art et essai. D’autres initiatives devraient voir le jour, qui pourront y contribuer après le signal lancé ces jours-ci au public et aux médias par Diagonale.

(1) L’Association française des cinémas d’art et essai.

(2) Voir informations sur le site www.arenberg.be

Détail des manifestations sur le site www.cinemasdiagonale.be

Louis Danvers

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