Louis XIV ou l’art d’être roi

Il s’est voulu en tout un maître absolu : monarque, mécène, collectionneur… Versailles, qui fut son théâtre, consacre, jusqu’au 7 novembre, une majestueuse exposition au metteur en scène de sa propre gloire et à l’homme des passions privées. Deux visages de la même histoire.

C ‘est l’histoire d’un homme qui ne prononça jamais la phrase à laquelle la postérité le résume.  » L’Etat, c’est moi  » : trop beau pour être vrai. Mais on ne prête qu’aux riches, et ce mot apocryphe dit bien le raccourci formidable opéré par le temps. L’Etat, ce fut lui, et la manière dont Louis XIV forgea son mythe a de quoi rendre verts nos plus distingués publicitaires.

A travers le roi s’incarne le génie d’une époque. Son goût et sa passion des arts, le sens du lustre servirent avec opiniâtreté une cause unique et honorable : la sienne. Celle de la France, donc. Aujourd’hui, on appellerait cela un plan de communication. Le sien, infaillible, offrit au pays un éclat sans pareil et quelques-uns de ses plus grands chefs-d’£uvre.

C’est aussi l’histoire d’une rencontre entre un jeune monarque et les aspirations d’un peuple tout prêt à l’adorer, pourvu qu’il porte beau et hisse haut les lauriers nationaux.

La légende dorée commence dès sa naissance. Un miracle, déjà : Louis XIII et Anne d’Autriche sont mariés depuis près de vingt-trois ans lorsque le dauphin paraît enfin, le 5 septembre 1638. On le baptise Louis Dieudonné, ce qui vous pose un homme. Il n’a pas 5 ans lorsqu’il accède au trône. Sacré officiellement à Reims, en 1654, à l’âge de 15 ans, au cours d’une cérémonie fastueuse qui va durer six heures, il ne devient alors rien de moins que le lieutenant de Dieu sur terre.

Louis n’est pas un génie mais il a un don : la mise en scène.  » C’est un homme secret, dissimulé, affirme Jean-Christian Petitfils, l’un de ses plus éminents biographes (Louis XIV, Perrin). Mais il a la volonté de se maîtriser, de dompter sa timidité pour présenter une face marmoréenne et faire corps avec son personnage de roi. « 

Bizarrement, on ignore s’il est grand ou petit. Ce dont personne ne doute, c’est de son sens politique. Elevé à bonne école par son Premier ministre et mentor, Mazarin, il en attend la mort, en 1661, pour accomplir le geste qui rendra son règne unique : il supprime la fonction de Premier ministre pour gouverner seul, et en personne. Roi absolu, absolument roi. Il a 22 ans.

Sa jeunesse, son immense prestance, une indéniable élégance alliée à sa majesté naturelle s’ajustent à la perfection avec les aspirations du royaume, éreinté par les guerres et les déchirements de la Fronde et des jacqueries successives.  » Les Français attendent tellement de lui que quelques gestes spectaculaires suffisent à l’imposer « , explique l’historien Olivier Chaline (Le Règne de Louis XIV, Flammarion). Un an et demi après son mariage, en 1660, avec Marie-Thérèse d’Autriche, il donne à Paris un mémorable carrousel pour célébrer, avec un faste inouï, la naissance de son premier fils – et damer le pion à l’impudent Fouquet. Pari gagné : les Parisiens restent bouche bée devant ce spectacle de deux jours, pour lequel on fit redessiner les jardins des Tuileries. En 1664, il enfonce le clou avec sa fête des Plaisirs de l’île enchantée. Au menu,  » course de bague, collation ornée de machines, comédies mêlées de danse et de musique, ballet du palais d’Alcine, feu d’artifice et autres fêtes galantes et magnifiques, faites par le roi à Versailles, le 7 mai 1664 et continuées plusieurs autres jours « . De mémoire de Français, on n’avait jamais vu ça.

Mais le coup de génie date de 1663, et c’est Colbert qui en a l’idée. Il s’agit de construire l’image du roi par tous les médias possibles, d’imaginer le théâtre et la mise en scène qui assureront son rayonnement. Du travail de professionnel, confié à quelques cadors triés sur le volet. Réunie pour la première fois le 3 février 1663, la  » Petite Académie  » comprend le conseiller culturel de Colbert, le poète Jean Chapelain, les abbés Amable de Bourzeis et Jacques Cassagnes, ainsi que les hommes de lettres François Charpentier et Charles Perrault.

L’auteur du Petit chaperon rouge rapporte dans ses mémoires ces paroles du roi :  » Vous pouvez, messieurs, juger de l’estime que je fais de vous, puisque je vous confie la chose au monde qui m’est la plus précieuse, qui est ma gloire. Je suis sûr que vous ferez des merveilles. Je tâcherai de ma part de vous fournir la matière qui mérite d’être mise en £uvre par des gens aussi habiles que vous êtes.  » La gloire du roi, autrement dit sa com’. Ces messieurs ne le décevront pas. Et réciproquement.

Louis XIV aime les (très) belles choses ? Tant mieux, elles serviront sa gloire. Les fêtes splendides ? Pour sa gloire. L’urbanisme et les beaux bâtiments ? Sa gloire, sa gloire, et encore sa gloire.  » Si bien que, dès les années 1670 et 1680, la France supplante l’Italie au panthéon du bon goût, souligne Nicolas Milovanovic, conservateur au château de Versailles et commissaire de l’exposition L’Homme et le Roi. L’ensemble des artistes travaille au portrait du roi, sujet privilégié qui éclipse tous les autres. « 

Les plus grands sont là : Le Brun, Hardouin-Mansart, Girardon, Le Vau, Le Nôtre, Molière, Lully, etc. De la danse à la peinture en passant par la littérature, la sculpture, l’architecture et les jardins, la tapisserie, la numismatique et la pyrotechnie, chaque art contribue à la geste royale. Jamais la France n’eut plus grand mécène. Jamais elle ne brillera si haut au firmament des nations.

Pour ce faire, l’administration requiert un budget colossal, qui atteint son summum en 1685 : les Bâtiments du roi engloutissent 10 % du trésor royal. Une paille…  » Louis XIV ne vise pas le plus grand nombre, mais la postérité « , confirme Nicolas Milovanovic. A ce jeu-là, Versailles est son chef-d’£uvre absolu, indépassable. C’est là qu’il fixe le c£ur de l’Etat, rompant avec le nomadisme des cours passées. Il impose une salle du trône, quand ses prédécesseurs siégeaient dans leur chambre à coucher. Il ne cesse d’innover, puisant ses références chez les Anciens pour s’établir résolument du côté des Modernes.

Nonobstant, pour maîtrisée qu’elle soit, la communication royale connaît parfois des ratés. Car ses admirateurs font du zèle. Ainsi, Louis XIV hérite d’une devise qu’il n’a pas choisie, et qu’il n’aime pas. Ce  » Nec pluribus impar  » nébuleux (littéralement  » non inégal à plusieurs « , donc supérieur à tous, capable de gouverner bien plus qu’un royaume), il le juge prétentieux. Comme le blason qui l’accompagne, un soleil éclairant le globe terrestre. C’est là l’£uvre d’un médailliste désireux de doter son roi d’une devise et d’un blason à la veille du grand carrousel de 1662. Louis XIV ne se les appropria jamais, bien qu’il les ait tolérés pour ne pas froisser la cour, emballée. Victime de son succès, en quelque sorte.

L’imagerie officielle privilégie la figure d’un monarque en majesté, généreux, qui fait prospérer son royaume et entretient son  » pré carré « , selon l’expression de Vauban, pour donner à la France son apparence actuelle (ou presque). Mais le pays raffole des récits d’ennemis humiliés, courbant l’échine devant le roi-nation. Les almanachs des éditeurs parisiens se chargent d’en faire l’article, à son corps défendant. Louis XIV veille tout de même à limiter la casse : quand le maréchal de La Feuillade entreprend la création de la place des Victoires, la statue de Martin Desjardins, dont le socle figure les vaincus, doit être retouchée à la demande du souverain : pas question d’humilier le roi de Suède.

Car le plus fort de l’histoire, c’est que Louis XIV n’est pas un vaniteux. S’il aspire à la gloire, c’est moins pour lui-même – après tout, il est né roi, il faut bien assumer – que pour le pays.  » Il se considère comme le représentant de la nation et voit l’Etat au-dessus de sa personne mortelle « , confirme Alexandre Maral, commissaire de l’exposition. C’est réussi : sous son règne, la France impose sa réputation indéboulonnable de nation des arts, de la culture et du raffinement, le français devient la langue des diplomates et de l’élégance. Sur son lit de mort, en 1715, Louis XIV dira :  » Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours.  » Ainsi soit-il. l M. Fts

Marion Festraëts

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