Louis Michel :  » Halte à la barbarie sémantique ! « 

Van Rompuy insulté, Ashton dépourvue de leadership politique, Barroso séduit par le présidentialisme : l’Europe relookée par le traité de Lisbonne est-elle mal partie ? L’avis tranché de Louis Michel.

Louis Michel fait ses valises. L’eurodéputé libéral belge s’envole pour Washington, où le Congrès tient à l’entendre sur sa prise de position récente en faveur d’un retrait des armes nucléaires américaines installées en Belgique et en Europe. Juste avant de sauter dans l’avion, l’ex-ministre des Affaires étrangères et ex-commissaire européen livre au Vif/L’Express ses sentiments sur les récents incidents qui ont émaillé la scène européenne.

Les outrances de l’eurodéputé populiste britannique Nigel Farage à l’encontre du président du Conseil, Herman Van Rompuy ( » Vous avez le charisme d’une serpillière humide « ), ont créé le scandale. Un sale coup pour un Parlement en quête de respectabilité ?

Je suis choqué par cet incident. J’ai eu mal pour Herman Van Rompuy, qui ne méritait pas cela. La liberté de parole, c’est sacré. Mais de telles outrances sont inacceptables. Des paroles injustement blessantes, insultantes, humiliantes sont lancées à la face de toutes les caméras. Ces injures viennent, comme toujours, de la droite la plus vulgaire. Coutumier du fait, ce Farage est un personnage peu reluisant, grossier, démagogue, populiste. Il n’a rien d’un démocrate. L’homme poli n’a pas les moyens de se défendre face à cette barbarie sémantique.

L’autorité morale du Parlement européen est d’autant plus en jeu que l’assemblée est investie de nouveaux pouvoirs en matière d’affaires intérieures depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Que va-t-il faire de ces pouvoirs ?

Si ces pouvoirs sont bien utilisés, le Parlement européen peut devenir l’institution qui sauvera l’idée européenne, assez maltraitée. Il l’a prouvé de manière magistrale le 11 février dernier, à Strasbourg. Les eurodéputés ont rejeté ce jour-là l’accord intérimaire Swift sur le transfert des données financières aux services de sécurité américains. Un transfert sans contrepartie ni garantie. Les eurodéputés ont résisté aux pressions des gouvernements européens et de Washington. Pour aller de l’avant, il faut une véritable alliance des démocrates européens, heureusement encore majoritaires au sein de l’assemblée. Le Parlement européen doit aussi renoncer aux petits jeux de positionnement qui visent à atteindre l’homme, Van Rompuy aujourd’hui, Barroso hier. Ce que certains candidats commissaires ont dû endurer lors des auditions est à la limite du tolérable. Le Parlement doit enfin, et c’est fondamental, nouer un vrai partenariat avec la Commission européenne. Si le Parlement et la Commission, les deux institutions communautaires, s’entendent pour forcer les décisions, le Conseil ne pourra leur résister longtemps. La pire des situations pour l’Europe serait un affrontement entre Barroso et Van Rompuy ! Ce dernier l’a d’ailleurs bien compris.

Au Parlement européen et ailleurs, des voix laissent entendre que le président Barroso impose à la Commission un véritable régime présidentiel. Vrai ou faux ?

Il faut être nuancé sur cette question. Avec un collège exécutif de 27 membres, issus de 27 pays différents, dotés de compétences pas toujours réparties de manière cohérente, il faut, à sa tête, quelqu’un qui indique le cap, qui s’efforce d’obtenir des accords en amont, qui prépare le consensus. Si c’est cela qu’on nomme un  » régime présidentiel « , il me convient. Même si, dans la commission Barroso précédente, dont je faisais partie, je dois reconnaître que j’ai parfois dû forcer le débat.

Le Conseil et le Parlement ne vont-ils pas imposer plus facilement leurs vues à la Commission si le collège des commissaires est affaibli par l’omnipotence de son président ?

C’est plutôt avec un président de la Commission pas très  » présidentiel  » que l’exécutif européen serait faible ! Il n’aurait plus autour de lui une équipe, mais une bande ! La note de politique générale présentée par Barroso m’a plu. Elle correspond à ma vision d’une Europe libérale fortement encadrée sur le plan social. Autre point positif : vu que Barroso ne pourra plus être réélu à la tête de la Commission au terme de son second mandat, il devrait être moins soumis aux volontés des Etats membres. Le Parlement européen ne l’a pas ménagé, mais si le président de la Commission manifeste une volonté d’indépendance par rapport au Conseil, je suis sûr qu’il aura l’assemblée avec lui.

Les premiers pas d’Herman Van Rompuy à la tête du Conseil des ministres vous satisfont-ils ?

Il ne faut pas prendre son attitude réservée pour de la faiblesse ou un manque d’ambition. C’est un homme qui étonnera souvent. Il a déjà imprimé sa marque face à Merkel, Sarkozy, Juncker et Barroso lors des discussions sur la crise grecque. Publiquement, il est resté discret. Mais en coulisses, il a imposé une certaine autorité, a montré qu’il savait très bien ce qu’il fallait faire et leur a fait valider son texte de soutien résolu à la Grèce. Si le Conseil l’avait totalement suivi, cela aurait été encore mieux !

Mais Van Rompuy a une marge de man£uvre limitée.

Je regrette que le président du Conseil ne soit pas président de tous les conseils. L’erreur majeure du traité de Lisbonne, c’est celle-là : on a maintenu les présidences nationales tournantes. On en voit déjà les conséquences : Zapatero tient à imposer la touche espagnole, à assumer les présidences sectorielles. La présidence tournante est utilisée à des fins électorales et de politique intérieure. Pendant six mois, voire plus si l’on tient compte de l’année des préparatifs de la présidence, l’opposition interne est réduite au silence et les dossiers chauds sont écrasés. On le voit bien en Belgique !

La mise en place du service extérieur de l’Union semble échapper à Catherine Ashton, placée à la tête de la diplomatie européenne. Est-elle dépourvue de leadership politique ?

C’est la question la plus embarrassante. Comme d’autres, je dirais qu’on ne peut la juger quelques semaines seulement après son entrée en fonction. Elle n’était pas nécessairement préparée à ce job. Et les  » pas de deux  » ou  » pas de trois  » de certains chefs d’Etat, qui contournent la diplomatie européenne, ne lui facilitent pas la tâche. Nul doute que la mise en place du service extérieur sera le grand défi de cette euromandature. Or ce chantier-là ne démarre pas bien. Le secrétariat du Conseil va évidemment tout faire pour tenter de s’approprier cet outil. Il faut aussi savoir ce que l’on veut en faire. Avoir un service extérieur sans créer des ambassades européennes uniques dans un certain nombre de pays n’a aucun sens. Les Etats ne se rendent pas compte que la diplomatie nationale a peu de valeur ajoutée dans un monde régi par les rapports de force. Cela aboutit à quoi ? A ce que Barack Obama fasse reporter le sommet Union européenne-Etats-Unis !

Catherine Ashton n’a pas souhaité se rendre à Haïti. Une erreur ?

Ses arguments pour justifier sa décision ne tiennent pas la route. Elle estime qu’il faut de la réserve, éviter la médiatisation. Moi, je serais allé sur place ! Il était important de montrer aux victimes du séisme et aux opinions publiques européennes que l’Europe incarne, sur le plan planétaire, des valeurs de solidarité. Il me semble que Mme Ashton aurait aussi pu faire l’économie d’une évaluation positive de la guerre en Irak !

ENTRETIEN : OLIVIER ROGEAU

 » il faut une véritable alliance des démocrates européens « 

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